II.2.1.2.L'appropriation comme concurrence de territorialisations.

Dans sa thèse de doctorat intitulée «Territoires de Haute-Montagne : recherches sur le processus de territorialisation et d'appropriation de l'espace de haute montagne dans les Alpes du Nord», B. DEBARBIEUX étudie les modes de construction de territoires en haute montagne, espace dont les caractéristiques naturelles sont très particulières. Il montre que cet espace peut représenter un enjeu considérable pour les divers acteurs susceptibles de l'occuper et que les objectifs d'usage de l'espace comme les stratégies mises en œuvre par les acteurs peuvent être divergents, ce qui génère des relations conflictuelles ou consensuelles. B. DEBARBIEUX utilise pour mener cette recherche les deux notions de territorialisation et d'appropriation en explicitant le sens qu'il leur donne et les caractéristiques qu'il leur attribue.

Il précise tout d'abord qu'il préfère insister sur le processus plutôt que sur les états, et préfère donc parler de territorialisation plutôt que de territorialité, pour mieux rendre compte de l'importance de la durée dans la construction du territoire. Puis il prend appui sur la définition du territoire de C. RAFFESTIN (DEBARBIEUX, 1988, p.9) :

«Le territoire est un produit à partir de l'espace par les réseaux, circuits et flux projetés par les groupes sociaux»

Il en déduit que le territoire ne peut être considéré indépendamment de la collectivité qui le construit, et que cette collectivité peut être n'importe quel groupe social et non pas seulement une entité politique. Il reproche à cette définition de ne considérer qu'un seul groupe à la fois, ce qui l'amène à distinguer la territorialisation de l'appropriation (DEBARBIEUX, 1988, p.10) :

« Cette définition, [celle du territoire par C. RAFFESTIN] comme la plupart des définitions de géographes et d'éthologues, ne distingue pas l'organisation socio-centrée de l'espace pour les besoins du groupe, ce qui est pour nous la territorialisation stricto-sensu, de la définition relative de ces espaces les uns par rapport aux autres, ce que nous préférons appeler appropriation » .

Pour B. DEBARBIEUX, les deux notions de territorialisation et d'appropriation sont donc très proches et leur matérialisation est similaire. Il s'agit dans les deux cas de «La mise en place d'une structure nouvelle et spécifique, idéelle et / ou matérielle, d'un espace donné par un groupe social quelconque». La territorialisation comme l'appropriation ne sont donc pas uniquement matérielles pour B. DEBARBIEUX : elles peuvent consister en une re-signification mentale des lieux et des objets existants, et / ou en une production d'objet ou une réification de l'espace. Mais bien que ces deux processus soient simultanés, ils relèvent de deux rationalités différentes, et c'est pourquoi B. DEBARBIEUX préfère les distinguer.

Pour lui, on ne peut parler d'appropriation qu'au sujet de la mise en concurrence de plusieurs territorialisations. L'appropriation est donc un enjeu social : l'espace est un objet de pouvoir et de lutte ou de négociation entre les groupes, qui entrent en relation au sujet et par le territoire. Ces processus d'appropriation qui s'opposent et se déroulent les uns par rapport aux autres, ne peuvent s'accomplir que par la pluralité de signification des lieux. Des fragments de l'espace font ainsi l'objet de rivalités entre les acteurs qui tentent de leur imposer un sens et une représentation partagés qui satisfassent leurs objectifs.

Si la distinction entre aménagement, appropriation et territorialisation issue des conclusions de M. LE BERRE n'est pas exactement celle qu'utilise B. DEBARBIEUX, les définitions qu'il propose des notions d'appropriation et de territorialisation n'en sont guère éloignées. On retrouve dans les deux approches l'idée que le territoire est construit immatériellement et concrètement par le groupe qui l'occupe dans un processus de territorialisation, l'appropriation étant considérée comme la construction d'une identité pour M. LEBERRE, et comme une mise en concurrence de territorialisations effectuées par des groupes différents pour B. DEBARBIEUX. Cette appropriation des géographes peut être rapprochée de celle des sociologues, qui, pour certains d'entre eux, ont souvent recours à cette notion.