II.2.1.3.Appropriation et dynamique socio-spatiale.

Les analyses de J. REMY et L. VOYE qui visent à faire de la ville un concept interprétatif des dynamiques socio-spatiales, reposent sur la notion d'appropriation, sans que celle-ci ne soit nettement définie dans ces travaux (REMY, VOYE, 1992). Ces recherches ont pour but de montrer comment l'urbanisation, considérée comme un processus d'intégration de la mobilité à la vie quotidienne, conduit à une redéfinition de l'incidence des modes de territorialité sur les formes sociales d'échange et de structuration des rapports de force. Pour ces auteurs, la ville et la campagne peuvent être analysées d'un point de vue morphologique ou descriptif, et sous un angle fonctionnel. Cette double définition renvoie à un mode donné de territorialité, entendue comme un mode de relation entre le lieu d'habitat et la vie sociale. Ce mode de relation est modifié par l'urbanisation, qui tend à faire passer d'une situation non urbanisée où il y a presque superposition entre la morphologie de l'espace et la structuration de la vie collective (dont l'idéal-type correspondant serait le village campagnard), à une situation urbanisée où les liens deviennent beaucoup plus lâches (dont l'idéal-type serait cette fois la grande ville anonyme).

Pour comprendre la ville comme un concept interprétatif, il faut pour J. REMY et L. VOYE définir le lien entre un type d'appropriation de l'espace et une dynamique collective. La ville apparaît alors comme une entité sociale qui joue un rôle majeur dans les échanges. L'espace urbanisé, qui permet une grande mobilité spatiale dans la vie quotidienne, est le lieu où les groupes divers peuvent coexister et se rencontrer, dans des échanges programmés ou dus au hasard. L'analyse développée dans ces travaux concerne la structure sociale et vise à mettre en évidence les mécanismes qui permettent de s'approprier un espace donné et d'en retirer certains avantages, en fonction des atouts et des handicaps que représentent les positions sociales et les activités.

Ces auteurs opposent l'analyse en termes d'appropriation qu'ils mènent à une analyse en termes de production, qui ciblerait alors les différents acteurs ayant l'initiative de la transformation de leur cadre spatial. L'analyse selon une logique d'appropriation part de la composition spatiale comme un espace donné, faisant l'hypothèse que l'espace ainsi structuré va, selon les différentes modalités de son usage social, être pour tel ou tel groupe un atout qui le sert ou un handicap qui le marginalise.

La description la plus précise de l'appropriation de J. REMY et L. VOYE est celle-ci (REMY, VOYE, 1992, p.76) :

« L'appropriation du milieu urbain ne correspond ni au mode d'usage d'un hôtel par des clients ni à l'errance du Hobbo [prototype du travailleur libre, sans attache aucune, et parfaitement mobile]. Elle suppose au contraire que se reconstituent des formes d'intégration tant au niveau du système social qu'à ceux des systèmes culturel et de la personnalité, formes d'intégration qui incorporent la mobilité spatiale comme condition de dynamique sociale »

Pour ces auteurs, l'appropriation ne présente pas un intérêt en elle-même (ils ne cherchent pas à décrire les processus d'appropriation), mais pour la compréhension qu'elle permet des formes d'intégration et de dynamique spatiale. Les modalités d'appropriation s'avèrent différentes selon les groupes. Elles témoignent de la capacité et de la possibilité de chaque acteur d'intégrer positivement la mobilité, donc de s'urbaniser, d'où l'intérêt de procéder à une analyse selon une logique d'appropriation.

Pour J. REMY et L. VOYE, l'appropriation de l'espace de la ville peut également être subjective. Dans l'idéal-type de la ville complètement urbanisée, l'appropriation se fait à partir d'une multiplicité de lieux dispersés, reliés les uns aux autres par des axes de communication. Les habitants des grandes villes les perçoivent à partir de lieux marquants, retenus en fonction de divers critères, plus que comme des ensembles cohérents.

Sans que les modes d'appropriation ne soient analysés en tant que tels, il ressort des travaux de J. REMY et L. VOYE que les groupes sociaux et les individus développent des comportements et des représentations spatiaux qui leurs sont propres et donc différents les uns des autres, qui intègrent le développement urbain, donc de la mobilité croissante, considérée comme un atout ou un inconvénient dans leurs stratégies. L'appropriation de l'espace serait alors la mise en place de ces nouveaux comportements territoriaux en fonction de la structure spatiale donnée et de l'évolution du contexte, notamment du développement conséquent de la mobilité.

A une échelle plus réduite que celle de quartiers ou de villes, les sociologues de l'habitat ont étudié les processus d'appropriation des logements par les habitants.