II.3.2.Une relation déséquilibrée.

Il arrive que dans l'élaboration de leurs stratégies, les acteurs soient amenés à poursuivre des intérêts divergents. Il arrive également que des acteurs, en poursuivant le même objectif et en partageant le même intérêt, réalisent des interprétations différentes de la situation présente, par exemple sur le rôle ou les motivations de l'un d'entre eux. Dans ces deux cas, les acteurs peuvent être amenés à adopter des comportements d'opposition, en se trouvant dans une situation conflictuelle. Les stratégies qu'ils mettent alors en œuvre relèvent de la négociation, par laquelle chacun des acteurs va chercher à faire évoluer la situation de telle sorte qu'elle s'équilibre pour que chacun atteigne au mieux ses intérêts en fonction des ressources dont il dispose. Au cours de cette phase de négociation, chacun acteurs a recours aux attributs du pouvoir dont il peut disposer (force, richesse, prestige, autorité légitimée, savoir, compétence, etc.). Néanmoins, même si un acteur dispose de très grandes ressources pour exercer son pouvoir, ces ressources peuvent être non pertinentes au regard de la situation, et surtout, il ne peut les utiliser de telle sorte qu'il puisse contraindre entièrement le comportement du ou des autres acteurs. (CROSIER, FRIEDBERG, 1992).

Ainsi, même l'autorité, exercice d'un pouvoir reposant sur des moyens de contrainte directe, peut rencontrer l'opposition d'une influence, exercice d'un pouvoir par lequel un acteur parvient à convaincre un autre acteur de l'intérêt commun d'adopter un comportement favorable. Un acteur peut également tirer son pouvoir de la production, souvent inconsciente et implicite, de croyances, de représentations, qui forment les valeurs et normes, grilles d'interprétation utilisées par d'autres acteurs pour interpréter la situation et donc adapter leur comportement, et cette forme d'exercice du pouvoir entraîne réciproquement un contre-pouvoir, visant à produire de la subversion, un renversement des idées et valeurs établies et reçues. (DE CERTEAU, 1990).

Une relation déséquilibrée est donc toujours réciproque : c'est un rapport de force, dans lequel l'un des acteurs peut retirer plus et parfois beaucoup plus que l'autre, mais dans lequel le second n'est jamais entièrement démuni. Ce qui fait la puissance de l'un ou l'autre des acteurs engagés dans une relation de pouvoir est la multiplicité de possibilités d'action. Plus un acteur est susceptible de marchander sa volonté d'accomplir l'acte attendu, ou encore, plus il lui est possible de conserver un comportement imprévisible et plus la relation de pouvoir est déséquilibrée en sa faveur.

Dans le cas des réhabilitations, les organismes HLM et les habitants peuvent se trouver dans des situations conflictuelles, par exemple s'ils ne souhaitent pas la même évolution de l'espace matériel, ou s'ils ne partagent pas la même conception de leur rôle ou de celui de l'organisme HLM. Ils vont alors mettre en œuvre des stratégies de négociation, dans lesquelles chacun utilise les ressources dont il dispose pour exercer son pouvoir, afin de contraindre le comportement de l'autre.

L'organisme dispose de moyens de contrainte directs qui reposent sur la loi (les travaux peuvent être imposés légalement), et en prenant l'initiative de mener et en dirigeant l'opération de réhabilitation, il produit un ensemble de représentations sur cette opération. Mais cette situation qui peut paraître très déséquilibrée en faveur de l'organisme ne doit pas faire oublier la nécessaire marge de manœuvre dont disposent les habitants. Ceux-ci, s'ils ne peuvent utiliser des moyens directs, peuvent user d'influence, en convainquant l'organisme d'agir selon leurs propres intérêts, ou encore construire, utiliser et partager un ensemble d'idées, d'opinions, ou de représentations collectives divergentes.

Le recours aux travaux menés sur les acteurs et les relations déséquilibrées de pouvoir permet ainsi de concevoir les rapports entre l'organisme et les habitants comme une relation générale déséquilibrée, et d'orienter l'analyse vers la recherche d'exercice d'autres formes de pouvoir que celle de domination et d'autorité, en étudiant en ce sens les comportements des habitants. Cette relation générale, avant, pendant et après la phase de travaux, prend une forme particulière lors de la phase de concertation : les organismes HLM considèrent qu'il peut être entre dans leur intérêt ou dans leurs valeurs de prendre en compte les souhaits des habitants, et offrent ainsi aux habitants de nouvelles conditions d'influence.

Cette participation des habitants aux projets visant à améliorer leur cadre de vie est une forme de négociation organisée particulière, utilisée depuis longtemps dans des situations différentes et dont la mise en œuvre a fait l'objet de nombreux travaux d'analyse. Les relations entre les organismes HLM et les habitants lors de la concertation élaborée par les organismes HLM peuvent ainsi être replacées dans ce contexte particulier.