PARTIE II.
L'appartement et l'immeuble : deux territoires

Avant d'aborder les questions qui placent les réhabilitations au sein des processus de territorialisation et d'appropriation, cœur de la recherche, il est utile de comprendre plus précisément comment ceux-ci prennent forme, par quels comportements des habitants ils s'accomplissent, à quel degré d'aboutissement ils sont parvenus avant que les travaux ne soient réalisés. L'analyse montre que l'appropriation de l'espace par les habitants génère deux territoires, l'un à l'échelle de l'appartement, espace domestique, et l'autre à l'échelle de l'immeuble ou de la résidence, espace collectif. Les comportements des habitants sont très différents entre ces deux territoires et peuvent être en contradiction, de telle sorte que les processus d'appropriation, en concurrence, s'équilibrent et s'articulent l'un à l'autre afin de permettre aux deux territoires de coexister.

L'espace domestique est très investi par les habitants qui sont nombreux à réaliser de menus travaux dans leur appartement, destinés à faciliter leur vie quotidienne et à décorer en fonction de leurs goûts, malgré leur statut de locataire qui pourrait rendre ces investissements peu avantageux. L'espace domestique est également lié dans les esprits à l'histoire de la famille et fait l'objet d'images positives, souvent construites par comparaison avec des lieux repoussoirs. Ces comportements des habitants tendent à valoriser le logement tout en permettant aux occupants de s'identifier à lui. Le processus d'appropriation de l'espace domestique est de la sorte particulièrement abouti.

Mais l'usage de l'appartement et plus généralement les comportements d'appropriation de cet espace peuvent être entravés par l'usage partagé de l'espace collectif et par les règles et normes dont il est le support. Contraindre son usage à l'intérieur de l'espace domestique, comme par exemple s'imposer de limiter le bruit produit pour ne pas gêner ses voisins, ou respecter des règles de préservation de l'espace commun, comme s'interdire d'étendre du linge sur le balcon, consiste à adopter des comportements d'appropriation collective de l'immeuble ou de la résidence. Ces comportements participent ainsi à la territorialisation de l'espace collectif, qui repose également sur la production de normes relationnelles de voisinage (il s'agit de saluer ses voisins et de s'entraider sans devenir trop proches afin de préserver son intimité).

L'analyse des deux territoires, l'appartement du ménage et l'immeuble ou la résidence du groupe d'habitants, montre ainsi qu'ils sont appropriés selon deux processus qui s'articulent et dépendent l'un de l'autre. Il a paru peu utile d'analyser d'autres échelles, telles qu'un fragment de l'appartement ou la ville. L'appropriation de l'espace domestique dépend également de l'appropriation réalisée par chacun des membres du ménage, qui tend à recréer à l'intérieur de l'appartement son territoire personnel (la chambre des enfants, le «coin» réservé d'un adulte), tandis que l'immeuble ou la résidence s'insère dans un quartier dans une ville qui peut jouir d'une identité marquée et reconnue, formant de la sorte le territoire de ses occupants. Mais ces autres échelles semblent moins pertinentes au regard des réhabilitations, pour lesquelles les habitants ont été amenés à se prononcer par ménage (pour voter sur l'ensemble des travaux et pour choisir les travaux à la carte) et collectivement, à l'échelle de l'immeuble ou de la résidence. C'est pourquoi seule l'articulation entre les processus d'appropriation des espaces domestiques et collectif fait l'objet des développements suivants.