III.1.1.2.Au-delà de la propreté : la notion d'ordre.

La propreté est également essentielle car elle renvoie à d'autres notions et notamment à celle d'ordre. Les termes de «saleté» et «propreté», souvent utilisés par les habitants, sont associés à des termes qui décrivent plus précisément en quoi consiste cette saleté ou cette propreté, et qui recouvrent un champ lexical assez vaste. On trouve ainsi en complément à la propreté : «entretenus», «désinfectés», «hygiène», et en complément à la saleté : «noir», «noirs de crasse», «dégoûtant», «vieux», «vétustes», «imbibé de poussière», «abîmé», «moisi», «des crottes de rats», «des cafards», «c'est un peu le chantier», «on voit un peu tout», «il y a en partout»…

La propreté et la saleté, qui s'opposent, sont donc deux termes génériques, indifféremment associés aux pollutions, à l'usure, ou au désordre. Leur sens profond et leur intérêt ne résident pas dans la description précise des faits qu'ils peuvent donner, mais dans l'opposition binaire à laquelle ils renvoient, entre du positif (le propre) et du négatif (du sale).

On retrouve toute la force de cette opposition dans les associations d'idées auxquelles renvoie l'utilisation de ces termes. L'association la plus fréquente et la plus directe est celle qui concerne l'apparence, dans laquelle l'opposition propre/sale est associée avec l'opposition beau/laid :

De façon plus lointaine, la notion de propreté renvoie à l'ambiance, aux impressions agréables qu'elle peut susciter. Bien sûr, la notion de propreté est associée à une ambiance positive, agréable, gaie et même de liberté, comme le laisse entendre la première citation :

Enfin, la dernière association relevée, la plus rare ou la moins lisible, mais certainement la plus révélatrice du sens profond de la propreté, est celle relative aux notions d'ordre, de netteté, de conformité à une norme, quelle qu'elle soit :

La propreté est donc liée, par des associations d'idées parfois confuses, à la notion d'ordre, de conformité. En ce sens, nettoyer n'est pas un acte seulement rationnel, destiné à traquer des microbes afin d'éviter des maladies. Le nettoyage est surtout un acte d'une grande portée symbolique, il revient à ordonner, classer, structurer l'espace, à montrer que sont respectées les règles d'hygiène et surtout des normes positives plus générales. On retrouve ainsi les résultats de l'anthropologue M. DOUGLAS, qui s'intéresse à l'écart artificiel entre le propre et le sale, c'est-à-dire le pur et l'impur, pour mettre en évidence les rapports sociaux qui structurent un système, le corps étant alors le miroir de la société. Pour elle, la saleté absolue n'existe pas, elle découle d'une construction sociale (DOUGLAS, 2001, p.24) :

« En faisant la chasse à la saleté, en recouvrant telle surface de papier, en décorant telle autre, en rangeant, nous ne sommes mus ni par l'angoisse ni par la crainte de la maladie : nous mettons simplement un nouvel ordre dans les lieux qui nous entourent – et c'est un acte positif –, nous les rendons conformes à une idée. (...) Nous accomplissons un geste créateur, nous tentons de lier la forme et la fonction, d'imposer une unité à notre expérience. »

Le nettoyage est donc une forme d'inscription de soi dans l'espace : la modification matérielle qui en résulte est significative, pour soi-même et pour autrui, des représentations personnelles des frontières entre propre et sale, entre pur et impur, et de son positionnement par rapport à cet ordre. La propreté faisant également l'objet de représentations collectives qui la valorisent, le nettoyage est également pour les habitants une façon de montrer qu'ils s'insèrent dans une société dont ils respectent les normes. Le fait de rendre propre l'espace domestique est alors un acte qui tend à lui conférer une identité conforme à son identité personnelle, ce qui permet en retour de montrer et de conforter son identité ; c'est de la sorte un acte d'appropriation.

Le bricolage, réalisation de menus travaux, est également un moyen de marquer l'espace en fonction de son identité.