III.1.2.1.Le bricolage comme un besoin.

La question des travaux personnels intérieurs n'a pas été abordée dans deux des entretiens réalisés et seule une locataire a expliqué ne pas avoir fait de travaux dans son appartement depuis six ans qu'elle y habite car celui-ci était refait à neuf quand elle a emménagé. Dans les 24 autres entretiens, les habitants ont donc déclaré avoir réalisé ou fait réaliser des travaux. Les travaux les plus souvent cités consistent en la réfection des peintures et des papiers peints, en allant parfois jusqu'à poncer les murs pour éviter les «grumelots» ou «picots», petites pointes de plâtre en saillie qui pourraient percer le papier. Certains posent également du carrelage, changent des équipements tels que la baignoire ou les WC, modifient le circuit électrique pour poser des appliques ou des plafonniers, installent un raccord d'arrivée et d'évacuation d'eau pour pouvoir utiliser une machine à laver, ou encore posent une porte pour fermer une pièce initialement conçue ouverte. Ces travaux sont ainsi destinés à rénover l'appartement au moment de l'emménagement, ou à l'entretenir par la suite, lorsqu'il est usé ou sali, à le refaire à son goût lorsqu'il ne plaît pas ou qu'il ne plaît plus, ou encore à améliorer le confort qu'il peut offrir. La réalisation de ces travaux est très fréquente et les habitants expriment le sentiment d'avoir besoin de les réaliser.

En effet, non seulement la quasi-totalité des habitants qui occupent leur logement depuis longtemps ont réalisé ces travaux de bricolage, mais cette activité est également présentée comme banale et fréquente pour les locataires, voire normale, comme le montrent les petits mots glissés dans ces réponses :

  • «Est-ce que vous avez réalisé des travaux, depuis que vous êtes ici ? - Oui, bien sûr, il y a les tapisseries, peintures, carrelage, même, dans la salle de bain. (n°2, Garches, couple).
  • «Est-ce que vous avez réalisé des travaux ? - Des travaux à l'intérieur ? - Oui - Ah oui, on a refait toutes les pièces, ça c'est tout le monde, sauf la cuisine, on ne l'a pas refaite, mais sinon, on a refait toutes les pièces. Ça, c'est selon le goût de chacun.» (n°3, Garches, femme).

Les habitants expliquent également se sentir «obligés» de réaliser des travaux, montrant que le bricolage est une nécessité et répond à un besoin :

  • «Et vous avez fait des travaux dans votre appartement ? - Ah oui, oui, en arrivant on était obligé. C'était peint en bleu, en rose, de toutes les couleurs ! On n'avait pas le choix !» (n°3, Gennevilliers, femme).
  • «Est-ce que vous aviez fait des travaux chez vous, avant la réhabilitation ? - On est obligé pour entretenir ! Bah oui ! Si on veut un appartement propre, il faut quand même faire des travaux tout le temps.» (n°10, Gennevilliers, femme).
  • «Vous avez réalisé des travaux vous-même… - Ah oui, ça, on a refait, on était obligé . Ça, vous savez...» (n°13, Gennevilliers, couple).

Le bricolage est ainsi, dans les cas des habitants rencontrés, une sorte de passage obligé pour s'approprier son appartement. La nécessité de cet acte peut se mesurer également à l'aune de l'investissement important qu'il demande parfois. Il peut s'agir d'un investissement matériel, comme ce locataire qui considère comme une chance d'avoir pu dépenser une somme importante, nécessaire pour refaire sa salle de bain :

  • « Moi, j'ai mis 7.000F [1.070€] dans la salle de bain, mais ce n'est pas tout le monde. Il y a beaucoup de gens, des veuves, là, comme Mme H. qui me disent « j'aimerais bien changer ma salle de bain, mais je ne peux pas » . Grâce à Dieu, j'ai pu le faire, mais il y en a encore beaucoup qui vivent dans des salles de bain pourries, pourries ! » (n°8, Garches, couple).

L'investissement peut se présenter sous forme de travail : certains locataires expliquent passer beaucoup de temps, dépenser beaucoup d'énergie, pour faire des travaux dans leur logement, comme dans cet exemple :

  • « Quand on a emménagé, j'ai tout refait là dedans, (…), à l'époque, j'étais jeune, et bon, bah le travail ne me faisait pas peur, donc j'ai amélioré, j'ai nettement, nettement amélioré » (n°7, Garches, couple).

D'autres récits montrent que les habitants peuvent décider de surmonter des difficultés importantes pour parvenir à réaliser les travaux qu'ils souhaitent. Ainsi, une locataire raconte qu'elle a voulu faire refaire sa tapisserie par un ami de sa fille, au chômage, moyennant une rémunération. Celui-ci est parti en laissant le chantier en plan et en prenant l'argent. Cette locataire a donc terminé les travaux aidée de membres de sa famille éloignée, puis, ayant ainsi appris des rudiments de savoir-faire, s'est lancée seule dans la réfection d'autres pièces :

  • «J'ai fait les trois quarts toute seule, et moi, je ne suis plus toute jeune, vous savez…» (n°9, Gennevilliers, femme).

La réalisation de menus travaux est donc une tâche souvent chère et délicate, qui demande de s'impliquer, en temps, en argent, en énergie, mais les habitants décident presque à l'unanimité de faire face à ces difficultés pour bricoler leur appartement à leur idée, selon leurs souhaits d'aménagement, d'embellissement et de propreté. Cette appropriation, souvent coûteuse, laborieuse et ardue, mais qui répond à un besoin impérieux, peut être aussi vécue comme un moment de liberté, de désir et de rêve.