III.1.3.1Un bricolage anormal.

Un article de Agora 12 , le magazine de l'office HLM de Gennevilliers, présente le cas d'un appartement que les professionnels considèrent avoir récupéré en mauvais état. Le journaliste explique que l'office a dû réaliser des travaux conséquents d'électricité, de menuiserie, de revêtement de sol, de peinture et de serrurerie, pour un montant total de 18.000F [2.750€] dont 13.400F [2.050€] à la charge du locataire, pour pouvoir le remettre en location. Selon le journaliste, cet appartement de quatre pièces avait été occupé pendant sept ans par une famille. L'article précise également que les nouveaux arrivants ont réalisé eux-mêmes une partie des travaux de réfection, utilisant des bons d'achat d'un magasin de fourniture de bricolage fournis par l'office. Les propos des nouveaux locataires sont ainsi rapportés dans l'article :

«« c'est dingue, c'est honteux, comment ont-ils pu vivre dans un intérieur pareil? » , s'écrie Hécia, tandis que son mari en déduit : « des gens doivent se dire, nous ne sommes pas chez nous, on s'en fout »» .

Cette présentation donne à penser que les anciens locataires ne sont jamais intervenus sur leur appartement et qu'ils l'ont seulement laissé se dégrader et se salir. Mais l'analyse des photographies et de leur légende présentées dans l'article montre qu'au contraire, les anciens habitants ont procédé à des aménagements :

«Une grille d'aération de guingois, sale et obstruée» : certainement gênés par l'air qu'ils sentaient passer, les anciens locataires ont dû chercher à retirer la grille et boucher le conduit (de grosses traces de scotch sont visibles sur la photographie)

«Peinture dégoulinante, fil électrique baladeur, évacuation d'eau usée bricolée» : les murs ont été repeints mais sans protection des plinthes, sur lesquelles la peinture a coulé ; le circuit électrique encastré initial a dû être complété, peut-être en raison d'un manque de prises électriques, mais les fils courent le long des murs sans être mis sous baguettes ; une machine à laver a dû être installée, avec un raccord pour les eaux usées réalisé par un simple tuyau emmanché dans une canalisation existante.

Les anciens locataires semblent donc avoir réalisé des aménagements dans leur appartement, afin d'améliorer leur confort, mais ce bricolage en dehors des normes de propreté, d'hygiène, ou de sécurité, notamment en matière d'électricité, choque le personnel de l'office comme les nouveaux arrivants. Dans la présentation de l'article, l'opposition entre un bricolage valorisé par l'office et un bricolage rejeté, considéré comme une dégradation, est rendue par l'opposition des légendes des photographies : sur la page de gauche, on peut voir toute la nouvelle famille rassemblée autour de la table, avec en légende «La famille Z., qui a aménagé son intérieur avec goût», et sur la page de droite, apparaissent les images de traces de scotch, de fils électriques non fixés, avec les légendes citées ci-dessus. L'auteur de l'article incite ainsi les habitants à respecter les règles de l'art lorsqu'ils font des travaux et à soigner leur réalisation, en considérant les aménagements réalisés comme une simple dégradation, considérée négativement dans les représentations collectives.

Un autre exemple a été rapporté par quelques habitants de la résidence des Châtaigniers, à propos d'un couple âgé, qui utilisait son appartement de façon particulière :

  • « C'était un petit peu un genre de clochards, et ils ramassaient tout ce qu'ils trouvaient dans la rue, ils faisaient les poubelles, ils ramassaient les cartons, il y en avait plein partout. Il avait écroulé le lavabo dans la salle de bain, la baignoire, elle était esquintée. (…) et l'appartement était à refaire entièrement (…) c'était le taudis parfait » (n°1, Garches, femme).
  • « C'était dans un état piteux (…) moi, je n'ouvrais même pas ma fenêtre de cuisine, tellement ça sentait pas bon ! et puis même, ils avaient des bouteilles de gaz, je l'avais dit au gardien, on n'a pas le droit logiquement d'avoir des bouteilles de gaz dans la cuisine, bon, ils ne l'ouvraient pas ça allait, mais c'est vrai que c'était un problème là » (n°5, Garches, femme).
  • « C'était un cas ! (…) des cartons, des cartons, il y en avait partout, je ne sais pas ce qu'ils faisaient, ce qu'ils ramassaient, c'était très sale, très bizarre » (n°10, Garches, couple).

Dans ce cas, comme dans l'exemple précédent, l'usage de l'appartement se fait en dehors des normes, reconnues et valorisées par les autres habitants ou les organismes HLM. L'espace matériel est considéré comme étant dégradé car il ne permet plus qu'un usage «normal» soit réalisé de l'appartement (en raison de la saleté, du désordre, des équipements abîmés, etc). Mais cette transformation de l'espace matériel en dehors des règles et des normes est tout autant une appropriation de l'espace domestique qu'un bricolage valorisé, puisque ces habitants adaptent l'espace matériel à l'utilisation qu'ils veulent en faire, puisqu'ils inscrivent concrètement ou laissent les traces dans leur espace domestique de leurs activités et de leurs idées.

D'autres personnes adoptent un comportement hors normes, qui modifie l'espace non par volonté de transformation ou d'adaptation, mais par l'absence de toute forme de nettoyage.

Notes
12.

Agora – Revue de l'OPMHLM de Gennevilliers, n°25, juin 1996, pp. 24-25.