III.2.2.1.Un attachement à l'appartement.

Une locataire réagit à l'idée de quitter son logement en deux temps : la première idée qui lui vient à l'esprit est qu'elle est trop attachée à son appartement, idée qu'elle complète ensuite en donnant les qualités pour lesquelles elle apprécie particulièrement son logement :

‘«Vous connaissez beaucoup de gens ici… Pas mal. - Ça compte ? - C'est ce qui me fait rester ici, aussi. - Sinon, vous auriez envie de partir ? - Je ne crois pas, dans ce logement, j'ai presque l'impression d'avoir mes racines. Ma dernière fille a été faite ici, je l'ai mariée il y a deux mois, bon... Il y a trop de souvenirs, c'est trop ancré, je ne pourrais pas partir. Je suis trop rattachée à ce logement. Et puis, il est situé de façon exceptionnelle, une face au nord, une face au sud, pour le linge, c'est génial, je ne me prends pas la tête avec un sèche-linge. On est bien chauffé l'hiver, c'est très important, pas surchauffé : bien chauffé. On a un peu chaud l'été, la preuve, mais... Non, quelque part, je ne voudrais pas partir». (n°12, Gennevilliers, femme). ’

La description et la mise en avant des qualités du logement, telles que le chauffage ou l'exposition, sont destinées à donner les raisons pour lesquelles cette habitante souhaite rester dans son appartement. Cette personne cherche à justifier son désir de rester, par opposition à l'envie de déménager, en pointant les avantages qu'elle en retire ; pourtant elle pourrait certainement retrouver les mêmes qualités ailleurs, voire de meilleures conditions de logement. Ces qualités du logement semblent donc moins importantes, dans le désir de ne pas quitter le logement, que les premières phrases de la citation, qui mettent l'accent sur la relation privilégiée construite avec l'appartement et qui sont les premières à venir à l'esprit de cette personne.

Les termes «racines», «ancré», «rattachée» qu'elle utilise sont des mots forts pour rendre compte de l'étroitesse du lien qui l'unit à son appartement. Il semble qu'avec le temps, le passé de la famille se soit inscrit dans les murs, que les habitants aient créé des liens entre leur appartement, espace matériel, et leur histoire. La construction de ce lien a été analysée par J. MAGLIONE, qui la décrit comme «une imprégnation mutuelle du visage de l'entour et de la physionomie de son occupant», il s'agit de «rebrancher les fils qui rattachent le dedans de l'être à son entour» (MAGLIONE, 1982, p.27).

Cette idée apparaît également chez une autre habitante, qui dit :

« Je n'aimerais pas déménager et me retrouver dans un milieu que je ne connais pas. J'ai ma fille qui habite Garches aussi, et je suis trop habituée à ici, j'aurais l'impression de me retrouver dans un autre monde. C'est plus difficile. On arrive à un âge, où... Il faut être jeune pour faire ça. Pas de rester isolée, parce que ça, je ne crois pas, mais de refaire toute une... » (n°4, Garches, couple). ’

L'opposition des termes «un milieu que je ne connais pas» et «un autre monde» avec les mots «trop habituée» marque l'opposition entre l'inconnu et l'espace patiemment approprié par son usage. Cette personne n'a pas envie de faire à nouveau l'effort de construction nécessaire (il faudrait «refaire»), pour s'intégrer dans un nouveau lieu de vie et lui imprimer sa marque. Passer d'un monde inconnu à un lieu familier demande du temps, de développer des pratiques, des habitudes, des souvenirs, des idées, en lien avec l'espace.

Au contraire de ces habitants qui ne formulent pas le souhait de partir et l'expliquent par l'absence d'envie de recommencer un processus d'appropriation, d'autres font part de leur vœu de déménager, mais qu'ils répriment pour des raisons diverses.