III.2.2.3.Des départs qui paraissent s'imposer.

Pour nombre de locataires, le moment de la retraite, comme dans l'exemple qui suit, est l'occasion de partir s'installer en province. Généralement, il s'agit d'un projet préparé de longue date, par l'acquisition d'une propriété et son occupation durant les vacances :

« Nous, on va bientôt partir, remarquez. - Ah bon ? - (elle) Ah oui, oui, [rires], (lui) c'est la retraite, on va bientôt s'en aller. - Vous voulez partir en province ? (lui) Eh oui, eh oui. Sinon, on était globalement satisfait, c'est sûr. - Vous allez avoir un petit pincement au cœur, quand même, quand vous allez partir ? (lui) Oh oui, peut-être, (elle) oui, ça c'est sûr, (lui) mais enfin bon, il faudra bien. Non, de toute manière, ici, à la retraite, c'est pas... (elle) Il faut laisser la place aux jeunes. (lui) On a du mal à rester en appartement. A la retraite, ça permet de partir en province. » (n°7, Gennevilliers, couple).’

Dans ce cas, il n'y a aucune rupture dans l'appropriation du logement, qui ne devient pas tout à coup insupportable, mais plutôt un transfert, le nouveau logement étant peu à peu investi et s'intégrant sans hiatus dans la trajectoire résidentielle. La valorisation de l'ancien logement n'est pas remise en cause : c'est le nouveau qui possède des atouts supplémentaires et prend place dans une évolution souhaitée. Le départ est parfois difficile : couper les anciens liens est toujours un peu douloureux, mais cette peine est compensée par l'espoir d'une meilleure qualité de vie. Pour atténuer la difficulté de ce départ, au moment de sa concrétisation, cet habitant précise qu'il faudra qu'il parte, comme s'il s'agissait d'une obligation, une fois le choix effectué. Le déménagement semble s'imposer en raison du changement de vie du ménage, qui ne serait plus compatible avec l'appartement, même si celui-ci conserve son image valorisée.

Dans un autre exemple, un habitant cite l'ensemble des travaux importants qu'il a réalisés dans son appartement et enchaîne aussitôt sur la nécessité de le quitter à présent :

‘«Vous avez fait beaucoup de travaux… - (lui) et on est presque prêt à partir, d’ailleurs, parce que ma femme… (elle) je ne peux presque plus marcher, je ne peux plus marcher, et il y a beaucoup d’escalier à monter et à descendre. (…) (lui) Alors… on va attendre un petit peu, parce que j’ai demandé à la ville, à la commune, mais ils ne se réveillent pas, alors il va falloir qu’on cherche nous-mêmes, c’est tout. Vous savez tout ! - Et vous avez envie d’aller où ? de quitter la région parisienne ? - Non, non, pas en plein Paris, non, par ici, c’est pas la peine, pour avoir un appartement autre, que ILM ou HLM, ou ce que vous voulez, si vous allez dans le privé, c’est des prix fous, on ne peut pas accéder, donc on va s’éloigner un peu, on va aller dans les Yvelines, enfin, on va essayer d’aller dans les Yvelines. » (n°7, Garches, couple).’

Dans ce cas, le prochain logement est envisagé par nécessité, pour des raisons précises de santé, et non avec envie ou espoir. L'association d'idées entre les travaux réalisés et l'obligation de partir montre qu'il est douloureux de renoncer à tout le processus d'appropriation réalisé, d'autant plus que le montant des loyers oblige cette famille à s'éloigner plus qu'elle ne le souhaiterait. Mais l'usage de l'appartement ne peut plus se faire comme les habitants l'attendent, et malgré une représentation très valorisée du lieu de vie, un départ s'impose.

L'analyse de la façon dont les habitants conçoivent un éventuel départ permet donc de mettre en évidence quelques caractéristiques de l'image qu'ils ont construite de leur logement au fil du temps. Un déménagement, qui peut pourtant porter la promesse d'une meilleure qualité de vie, n'est parfois pas envisagé pour la seule raison que les habitants se sentent trop attachés à leur logement, c'est-à-dire qu'il faudrait renoncer à l'espace approprié et recommencer un autre processus d'appropriation, ce qui demande un effort jugé alors trop considérable. Et pour les habitants qui présentent des arguments en faveur d'un déménagement, le risque d'obtenir un logement qui soit finalement désagréable à l'usage l'emporte sur l'envie de changement : la volonté de ne pas quitter un endroit auquel on est attaché et la peur de l'inconnu sont supérieurs à l'espoir de vivre dans un appartement plus agréable. Enfin, pour les habitants qui sont prêts à s'installer ailleurs, l'évocation du départ n'est jamais associée à une représentation globalement négative du logement, mais à une nécessité. Dans tous les cas donc, les habitants évoquent, explicitement ou implicitement, un fort attachement à leur appartement.