III.2.3.1Gennevilliers : le quartier du Luth, un quartier-repoussoir proche.

La majorité des habitants rencontrés citent spontanément le quartier du Luth, qu'ils présentent comme un quartier dégradé et/ou «mal fréquenté», en contraste avec leur propre quartier :

  • «Le quartier n'a jamais été trop désagréable, ni mal fréquenté, ni gros problèmes. Il y a toujours des petits problèmes, comme dans tous les quartiers, ça n'a rien à voir avec le quartier du Luth , où il y a des problèmes, non, c'est un quartier calme. (…) Quand on est arrivé, le Luth , il n'y avait pas de Luth . Oui, mais là dis donc... - Vous en parlez souvent du Luth. C'est parce que ça vous a marqué ? - Non, c'est vrai que ça crée des problèmes, parce que ... C'est une cité qu'ils ont fait, c'est le département qui l'a fait, et ils ont mis tous les cas sociaux dedans. Ça donne pas des belles choses. Alors que quand ils sont bien répartis parmi les autres, et bien ça se sent moins» (n°7, Gennevilliers, couple).
  • «Tu as des appartements, au Luth , et tout, tu vois comment c'est dégradé, alors que nous, ça reste au propre, pour notre bâtiment, nous parlons de notre bâtiment» (n°10, Gennevilliers, femme).
  • «Alors on ne veut plus de paraboles ! ça pousse comme des champignons, au Luth , là, il n'y a que ça ! moi, je trouve ça affreux, je ne comprends pas qu'on puisse accepter, il y a des communes qui refusent. Alors, à Melun, il n'y en a pas. Il n'en veut pas le maire, elles sont sur le toit, et après, il y a des fils qui descendent. Et ici, à Gennevilliers... Ou alors, il est pour les paraboles, pour les étrangers, parce que c'est que les étrangers qui l'ont, c'est pas les français, on ne peut pas se permettre ! ça coûte cher, la parabole, plus la télé, ceci cela» (n°11, Gennevilliers, femme).
  • «Et vous connaissiez bien le quartier avant de venir ? - Non, pas tellement, mais bon... mais j'ai choisi ce quartier là, parce que c'est mieux que le Luth , ou ... ailleurs…» (n°14, Gennevilliers, femme).

Il arrive que d'autres endroits remplissent la même fonction de repoussoir, lorsque le Luth est connu personnellement et non seulement en fonction des représentations collectives, ou lorsqu'un autre lieu inspire plus de peur :

  • « Ma mère, elle est dans la tour , ils ont fait la réhabilitation un peu avant nous, vous verriez les jeunes qu'il y a. D'ailleurs, ma mère n'ouvre même plus la porte, quand elle va à la banque, moi, je l'accompagne, parce que maintenant, il y a trop de jeunes, parce que même moi, qui ai mon chien, j'en ai peur. Parce que c'est n'importe qui qui rentre, nous, on n'en est pas arrivé là, encore, dans six mois, je ne vous dis pas que ça n'arrivera pas. (...) Là bas , c'est des jeunes qui sont tout seuls, qui n'ont pas de travail, ou des cas sociaux, alors ça ramène tout ce qu'il ne faut pas... C'est l'horreur. Il y a un an la tour n'était pas comme ça. Depuis un an c'est l'horreur, en un an, ça s'est dégradé, grave.(...) nous, on est privilégié, dans le bâtiment là, celui derrière aussi, mais un peu plus loin , c'est le massacre » (n°2, Gennevilliers, femme).
  • « (lui) J'ai un frangin, au Luth , c'est pas trop… (…) je parlais du Luth comme ça, mais c'est pas le pire, les 3F / (elle) les 3F, c'est pas mal, il ne faut pas aller là-bas, vous n'y allez pas toute seule, surtout je vous le dis, à Gabriel Péri , surtout, si on vous dit d'aller faire un sondage là-bas, vous refusez ! (lui) si vous entrez dans la cage d'escalier, il y a tout de cassé… (elle) si elle peut rentrer, déjà ! c'est une catastrophe, là-bas, la différence rien qu'à l'odeur, puis tout ce qui se passe, des gamines qui ont été violées, des trucs horribles » (n°8, Gennevilliers, couple)..

Ces descriptions des lieux repoussoirs comportent des précisions sur l'espace matériel (présence de paraboles, mauvaises odeurs, bâtiments dégradés, mobilier cassé dans les cages d'escalier…), sur ses habitants («des étrangers», «des cas sociaux», «des jeunes seuls sans travail»…) et sur les événements qui s'y seraient déroulés («viols de gamines», «gros problèmes», «trucs horribles»…). L'accumulation de ces détails assez précis, sur des plans différents mais présentés de façon concordante, est destinée à susciter une représentation de l'identité socio-spatiale d'un lieu très négative, à laquelle il est facile ensuite de s'opposer, de se distinguer, par le même processus d'association entre espace matériel et individus. Dire qu'on est mieux chez soi qu'au Luth, présenté comme un quartier dégradé et mal fréquenté, signifie que le quartier habité est au contraire propre et bien fréquenté, ces deux aspects étant très liés dans les descriptions. Une comparaison avec un lieu repoussoir est donc une façon de construire une représentation valorisée de l'identité socio-spatiale de l'espace habité.