III.2.3.2.Garches : des villes repoussoirs lointaines.

A Garches, la renommée très valorisée de la ville permet aux habitants de la résidence des Châtaigniers de reculer largement la frontière séparant l'espace habité des lieux repoussoirs, qui sont alors des villes de la région parisienne :

On retrouve les mêmes stigmates que pour le quartier du Luth : la dégradation matérielle (porte cassée, tag), des individus indésirables (concentration d'étrangers, bandes de jeunes), des événements inquiétants (du grabuge). Les détails montrent une concordance entre l'espace matériel et sa fréquentation : c'est un endroit dévalorisé notamment parce qu'il y a du vandalisme, interprété comme le signe de la présence de jeunes désœuvrés. L'opposition entre ces villes, symboles de dévalorisation, et l'espace habité est chaque fois bien marquée par l'opposition des termes «ici» et du nom de ces villes.

Les habitants créent donc une image positive de leur cadre de vie et de ses habitants, ses deux aspects étant présentés en cohérence, par contraste avec une image symbolique d'un endroit repoussoir. Ce comportement permet de construire une identité à la fois d'un espace habité et des habitants vivant dans ce lieu, les caractéristiques positives du premier renforçant les caractéristiques positives des seconds, et vice-versa, par distinction ou mise à distance avec un lieu stigmatisé.

Les discours des habitants convergent donc tous vers une présentation valorisante de leur espace domestique, dans les différentes situations étudiées. Lors des emménagements, les habitants semblent avoir conquis leur appartement plus qu'ils ne l'ont obtenu passivement par les processus d'attribution : le prix des différents efforts qu'ils ont alors accomplis donnent une forme de valeur à l'appartement, dont ils apprécient d'autant plus les qualités qu'ils les comparent avec celles de leur précédent logement, généralement moindres. Lorsqu'ils évoquent un éventuel départ de leur appartement, les habitants montrent un profond attachement à leur lieu de vie, qui leur paraît difficile à rompre, même s'ils disent avoir envie de changement, ou qu'ils citent des caractéristiques négatives de leur logement. Les départs sont alors vécus comme des nécessités, en raison de changements survenus dans la vie du ménage qui rendent impossible la poursuite de l'usage de l'appartement. Enfin la comparaison avec des lieux repoussoirs signifie que l'endroit habité est considéré, par opposition aux endroits stigmatisés, comme étant agréable, c'est-à-dire confortable et bien fréquenté. L'espace habité est ainsi chargé de sens positif, puisqu'il est perçu comme étant conquis, apprécié, confortable et bien fréquenté, suscitant un fort attachement, ce qui relève du processus d'appropriation. Mais ces comportements d'appropriation se heurtent également à des obstacles, qu'il s'agit de contourner.