III.3.2.2.Se défendre ou revendiquer «d'être en HLM».

A Garches, certains habitants considèrent que leur logement, bien qu'étant un logement social, ne ressemble pas à la représentation collective des HLM. Ils défendent leur logement de l'assimilation avec un habitat dévalorisé :

  • «Les gens qui ont des propriétés, quand ils viennent ici, ils disent que ça ne fait pas HLM. C'est pour ça qu'on s'y plait » (n°4, Garches, couple).
  • «Ça fait une belle petite résidence, malgré que c'est des HLM » (n°5, Garches, femme).
  • «On est quand même favorisés, mais ce n'est pas partout pareil, les HLM» (n°1, Garches, femme).

A Gennevilliers , les habitants ne cherchent pas à se distinguer d'une image des HLM dévalorisée, mais défendent une image positive des logements sociaux ou des HLM, en affirmant qu'ils s'y sentent bien, ou que les HLM ont évolué de telle sorte qu'elles ne ressemblent plus aux stéréotype des représentations collectives :

  • «Et qu'est-ce que ça a changé surtout, la réhabilitation ? – Pour moi, rien, je suis toujours en HLM, et je suis bien» (n°2, Gennevilliers, femme).
  • «Avant dans certaines HLM, il y avait beaucoup d'étrangers, alors que maintenant, c'est mixé, il y a moins de concentrations, et c'est bien mieux, même dans les HLM» (n°4, Gennevilliers, femme).

Un ménage, enfin, considère que la représentation sociale dévalorisante s'applique à son logement, tout en précisant cependant qu'il s'agit un phénomène récent, et qui en limite donc toute la portée :

« Moi je voulais déménager dans Gennevilliers pour le moment, mais à choisir, on préférerait déménager carrément en province, si c'était possible, changer des HLM, parce que c'est vrai que c'est plus comme c'était avant, c'est clair» (n°8, Gennevilliers, couple).’

La représentation sociale des HLM est incontournable pour les habitants, qui doivent construire l'image de leur logement en fonction de cette représentation. Afin que cette image reste positive, ils montrent que leur logement se distingue de cette représentation dévalorisante, tendance plus répandue à Garches, qui offre un cadre de vie réputé très éloigné des représentations dévalorisantes, ou bien cherchent à défendre une représentation positive des HLM, tendance plus répandue à Gennevilliers, ville dont l'équipe municipale vise à développer une image à la fois ouvrière et positive de sa commune.

Les habitants sont ainsi engagés dans un processus de territorialisation de leur espace domestique très abouti, car les comportements d'appropriation qu'ils y développent sont nombreux et touchent à la fois l'espace matériel et les représentations auxquelles il donne lieu.

Les pratiques des habitants dans et sur l'espace domestique sont bien sûr propres à chaque ménage, mais leur analyse montre des similarités. Les locataires tendent ainsi généralement à déployer des efforts importants pour obtenir leur appartement et ils l'attendent un long moment dans un mélange de craintes et d'espoirs. Puis le déroulement de la vie quotidienne entraînant usures et salissures, ils développent à nouveau des efforts pour l'entretenir et le nettoyer. Ils l'adaptent afin de faciliter l'accomplissement de leurs activités, de leurs gestes familiers, ils l'embellissent à leur goût. Ils se sentent finalement attachés à leur appartement, dans lequel ils disent avoir leurs racines et leurs habitudes, même s'ils décrivent certains défauts ou inconvénients de leur logement, de telle sorte qu'ils ne décident et parviennent à le quitter que si des bouleversements interviennent dans leur vie qui en rendent l'usage plus difficile.

L'ensemble de ces pratiques s'inscrit dans un système de représentations qui leur donnent sens : ces pratiques ont globalement lieu parce que les habitants y trouvent une forme de valorisation. La réalisation des menus travaux, le nettoyage, permettent aux habitants de montrer à la fois qu'ils respectent des normes sociales positives et qu'ils font preuve d'originalité et de personnalité, caractéristiques valorisées dans les représentations collectives. Les efforts que les habitants déploient pour obtenir leur logement lui donnent une certaine valeur à leurs yeux, tout comme l'attachement qu'ils laissent entendre lorsqu'un départ est envisagé. Les comparaisons qu'ils effectuent entre leur appartement et leur ancien logement, ainsi qu'avec des lieux repoussoirs, leur permettent de construire une distinction entre leur logement et un stéréotype cumulant des caractéristiques négatives, donc d'en traduire les éléments positifs. Par l'ensemble de ces pratiques, qu'elles modifient l'espace matériel ou qu'elles consistent en comparaisons, impressions ou jugements, les habitants construisent une image valorisée de leur espace domestique.

Cette image dépend étroitement de la personnalité et du passé de ceux qui lui ont donné naissance : elle intègre à la fois l'espace matériel et ses occupants, et la relation qu'ils ont nouée. Les modifications de l'espace matériel (propreté, aménagement, embellissement), ses qualités et ses défauts ne peuvent faire partie de l'image construite sans lien avec les occupants : les modifications de l'espace matériel apparaissent par exemple avec leur auteur, sa méticulosité, sa valeur du travail bien fait, les qualités et les défauts apparaissent avec les opinions, les expériences, les jugements de celui qui les édicte.

Les comportements d'appropriation de l'espace domestique consistent ainsi en un ensemble de pratiques et de représentations qui construisent une image éminemment riche et complexe du logement en lien avec ses occupants. Ces comportements étant multiples et concernant toutes les dimensions l'espace domestique (espace matériel, vécu, représenté, espace social), le processus d'appropriation est très abouti.

Mais cette analyse ne s'est attachée qu'à l'appartement et à sa situation, et à des comportements individuels ou familiaux ; or les comportements des habitants se développent également dans les parties communes des immeubles ou dans les abords directs, et ont une dimension collective. Les comportements individuels et collectifs étant étroitement imbriqués, les uns influençant les autres et réciproquement, il faut pour lire l'appropriation de l'espace (considéré comme un cadre de vie) par les habitants, l'étudier dans son articulation entre territorialisation de l'espace domestique et territorialisation de l'espace collectif.