IV.1.1.2.Un espace matériel dont l'usage est commun.

Les parties communes relèvent de trois formes : les abords du ou des immeubles (pelouses, places de stationnement des véhicules, …), les circuits de distribution (halls d'entrée, escaliers, ascenseurs, corridors, paliers, coursives extérieures, allées piétonnes,…) et les locaux d'usage commun (locaux à poubelles, à vélos, à poussettes…). Quelle que soit la forme dont elles relèvent, les parties communes ont pour caractéristique d'être à la fois des espaces de transition entre public et intimité, d'être exposées aux regards et sources de négociation, ce qui rend leur usage commun par l'ensemble des habitants d'autant plus perceptible, de même que la cohérence des délimitations de l'espace matériel et du groupe qui l'occupe.

Ni lieu de passage tel que la rue, ni lieu privé fermé tel que l'appartement, les parties communes servent de transition de l'un à l'autre. Les architectes, lorsqu'ils conçoivent un ensemble de logements collectifs, sont conscients de ce double usage que doivent permettre les parties communes, entre une forme d'isolement et de protection par rapport à la dynamique de la rue et d'ouverture de l'intimité vers autrui (ELEB, CHATELET, 1995, p.81) :

«Les gradations entre public et privé sont importantes, et de nombreux architectes y travaillent de façon privilégiée. (…) R. SIMOUNET est conscient d'avoir à régler spatialement le paradoxe entre besoin d'intimité et de relations sociales, en incluant d'ailleurs dans ce dernier terme des gradations entre rapports familiaux, rapports de voisinage, et rapports avec les étrangers au quartier » .

Cette transition est d'autant plus perceptible que les espaces domestiques, communs et publics ne sont pas étanches les uns aux autres. Les caves, les boîtes à lettres, les places de stationnement, sont personnelles, mais sont rassemblées dans un espace commun. La proximité des appartements fait que les espaces domestiques ne sont pas complètement clos les uns par rapport aux autres : les fuites d'eau passent d'un étage à l'autre, les bruits résonnent à travers les planchers, les cloisons, les canalisations et les fenêtres, les odeurs passent sous les portes… L'espace extérieur reste perceptible à l'intérieur des appartements, par la vue ou le bruit. Les parties communes participent donc de cette continuité, de cette gradation ou transition entre ouverture et fermeture, public et privé, sociabilité et intimité…

En tant qu'espaces de transition entre public et privé, les parties communes sont aussi des espaces de transition entre l'effet de s'exposer et de se soustraire aux regards. Tout architecte chargé de concevoir un ensemble de logements collectifs sait qu'il lui faut travailler à la fois sur les qualités d'usage, en étudiant les capacités qu'offre le bâti aux habitants de mener leur vie quotidienne comme ils l'entendent, et sur les qualités esthétiques de ses bâtiments, en tenant compte de l'impact visuel qu'ils auront (ELEB, CHATELET, 1995, p.248) :

«Le bâtiment est œuvre d'art, et il est aussi un ensemble de logements ; son appréhension ne peut se réduire à son apparence pas plus qu'à son fonctionnement » .

Les architectes travaillent à imaginer une présentation valorisée de leurs immeubles. Pour autant, ils se défendent de créer de simples décors, aussi beaux soient-ils, indépendamment des habitants et de l'usage qu'ils feront de l'espace matériel. Les parties communes ont donc à la fois un aspect fonctionnel et une valeur esthétique, étroitement liés et perceptibles par les locataires et par autrui.

Les parties communes sont donc des espaces conçus pour être exposés aux regards sous leur aspect collectif. Leur usage commun implique que les comportements adoptés en ces endroits deviennent perceptibles pour tout un chacun : on peut voir son voisin prendre son courrier, un visiteur entrer chez quelqu'un, ou encore constater des salissures ou des embellissements, ou entendre des gens passer. Le caractère collectif de l'espace est ainsi mis en évidence, surtout pour les personnes qui l'habitent, qui ont davantage l'occasion de se rendre compte de la présence et du comportement de leurs voisins, mais aussi pour les personnes de l'extérieur, qui interprètent ce qu'ils perçoivent des immeubles dans leur globalité.

L'usage partagé des parties communes en fait des lieux d'interaction entre les habitants : le fait de devoir utiliser le même espace implique une mise en relation des locataires, directe, au moment où les voisins se croisent ou se rassemblent, ou différée, lorsque l'usage laisse des traces dans l'espace matériel, perceptibles ensuite par autrui. Les comportements adoptés dans ces espaces peuvent être différents selon les individus, en fonction des représentations et des souhaits personnels, et donc éventuellement représenter une gêne pour les voisins. En tant que localisation et source de conflits potentiels, les parties communes sont un espace de négociation entre les habitants.

Les deux espaces matériels de l'immeuble Paul Eluard et de la résidence des Châtaigniers sont ainsi perçus comme des espaces qui possèdent une unité, une homogénéité interne, qui s'oppose au reste de la ville par ses caractéristiques architecturales. Ces deux espaces matériels sont également perçus comme des espaces qui se donnent à voir dans leur globalité, dont l'usage, qui peut donner lieu à de multiples conflits, est effectué sous les regards des autres. Ces différentes caractéristiques rendent la dimension collective de ces espaces nettement perceptible. L'espace collectif fait aussi l'objet de représentations qui associent étroitement l'espace matériel et le groupe d'habitants qui l'occupe.