IV.1.2.2.Des noms peu utilisés.

Ces premiers résultats peuvent être affinés en distinguant et en comptabilisant les termes descriptifs des noms propres utilisés pour désigner ces mêmes espaces. Ce nouveau comptage donne les chiffres suivants :

Termes comptabilisés « immeuble » « bâtiment » « Paul Eluard »
Gennevilliers 1,5 1,4 0,6
Termes comptabilisés « résidence » « cité » « Châtaigniers »
Garches 4,6 0,08 0,25

A Gennevilliers comme à Garches, la différence d'utilisation des termes descriptifs et des noms propres est très nette : si les locataires parlent beaucoup de leur immeuble, de leur bâtiment ou de leur résidence, ils emploient très peu les expressions «l'immeuble Paul Eluard», «à Paul Eluard», ou «la résidence des Châtaigniers», «aux Châtaigniers». Un premier facteur d'explication tient dans le fait qu'ils hésitent peut-être à utiliser un nom propre qu'ils supposent peu connu de l'enquêteur, bien qu'il soit aisé d'apporter les précisions nécessaires au début de l'entretien. Un deuxième facteur d'explication relève de leurs habitudes : lorsqu'ils évoquent cet espace, avec n'importe quel interlocuteur, ils n'utilisent généralement pas le nom propre. Quel que soit le facteur d'explication privilégié, cette préférence montre que les habitants identifient facilement l'espace collectif, sans lui reconnaître une identité forte qui serait contenue dans le nom du lieu, et qu'ils souhaiteraient exprimer par l'utilisation du nom propre.

Cette analyse révèle également que les habitants de l'immeuble Paul Eluard utilisent indifféremment les termes de «bâtiment» ou «d'immeuble», tandis que les habitants de la résidence des Châtaigniers privilégient massivement le terme de «résidence», au détriment de celui de «cité», qui évoque les représentations sociales de la banlieue et des HLM, profondément dévalorisantes.

Les caractéristiques matérielles des deux espaces étudiés comme l'attribution d'un nom propre, même s'il est peu employé, concourent ainsi à faire de ces deux échelles spatiales différentes des repères géographiques pertinents, dont l'évocation permet d'expliciter les faits racontés. Les habitants construisent de la sorte des représentations de l'immeuble et de la résidence comme des entités, caractérisées par leur unité interne et leur spécificité par rapport au reste de la ville, comme des lieux de référence. Par la construction de ces représentations, l'immeuble et la résidence sont identifiés comme deux espaces collectifs, espaces matériels occupés par un groupe de personnes, dont la délimitation est pertinente au regard du système de représentations collectives de l'expérience personnelle. Si l'espace matériel et ses caractéristiques est intégré dans la représentation qu'en construisent les habitants, il ne peut être perçu et représenté en dehors des personnes qui l'occupent : les dimensions matérielle et sociale de l'immeuble et de la résidence sont ainsi étroitement liées dans les représentations.