IV.1.2.3.Des termes qui désignent à la fois l'espace matériel et les habitants.

L'analyse de l'utilisation des repères géographiques par les habitants montre également qu'une forte concordance existe dans les représentations des locataires entre l'espace matériel collectif et l'ensemble des individus qui l'occupent. Dans les discours des habitants, l'utilisation d'un même terme peut ainsi évoquer l'espace matériel ou ses occupants. Dans ces deux phrases énoncées par la même personne à quelques minutes d'intervalle, par exemple, le même terme «bâtiment» est employé dans deux sens très différents (n°7, Gennevilliers, couple) :

• « A Renoir, la banane, ce qu'on appelle la banane, parce que le bâtiment est comme ça… »
• « Il y a en a d'autres qui font des crêpes, il y a un autre bâtiment qui fait des brochettes… »

Dans la première citation, le mot «bâtiment» désigne clairement l'espace matériel, en se rapportant directement à sa forme architecturale en forme de banane, tandis que dans la seconde, l'action qui lui est associée ne peut se rapporter qu'à des individus, c'est-à-dire l'ensemble des habitants logés dans le bâtiment qui organisent un repas à base de brochettes.

La concordance peut être si forte que les termes deviennent ambigus, car ils désignent plusieurs aspects différents en même temps, comme dans ces exemples :

• « La résidence est beaucoup plus calme» (n°8, Garches, couple).
• «Nous, on est un peu isolé, vous savez, on est un immeuble à part [rires]. On se demande si on fait partie de la résidence, presque !» (n°12, Garches, femme).

Dans la première phrase, le mot «calme» décrit une ambiance, qui s'observe dans l'espace de la résidence et qui est aussi la résultante du comportement des personnes qui habitent cet espace. Ces deux sens d'une localisation et du comportement d'individus apparaissent dans le raccourci «la résidence». Dans la seconde phrase, l'isolement est perceptible en termes de distance physique, puisque l'immeuble en question se trouve à l'extrémité de la résidence, donnant seul sur la rue de Buzenval, mais aussi en termes humains, cette personne expliquant qu'elle a peu de contacts avec les locataires des autres bâtiments de la résidence. Le terme employé «d'immeuble» comporte donc à la fois ces deux sens d'espace matériel et de groupe d'habitants.

C'est ainsi que se précise la notion d'espace collectif, territoire formé d'un espace matériel indissociable du groupe d'individus qui se l'approprient. L'espace matériel est perçu comme une entité délimitée, possédant à la fois une unité interne et des caractéristiques qui la distinguent du reste de la ville ou du quartier de façon visible, à laquelle correspond un groupe, dont fait partie les occupants de l'espace matériel et seulement ceux-ci. L'identification de cet espace collectif comme un repère géographique est présente dans les représentations, qui associent étroitement l'espace matériel et le groupe d'habitants qui l'occupent, même si son identité, qu'exprime son nom propre, est peu présente dans les esprits.

Cet espace collectif ainsi identifié est également organisé afin que son usage commun soit rendu possible, c'est-à-dire que l'espace matériel commun ne donne pas lieu à une simple concurrence de comportements individuels, mais à une appropriation collective articulée à des appropriations individuelles selon des règles.