IV.2.1.3.Préserver une représentation valorisée de l'espace collectif.

Certaines règles énoncées par les organismes HLM interdisent de réaliser des actes qui, s'inscrivant dans l'espace matériel commun, pourraient être perçus comme une forme de dégradation et qui pourraient donc nuire à une image valorisée de l'espace habité. Tous les actes susceptibles d'entraîner une dépréciation de l'espace sont ainsi interdits. Le tableau suivant en dresse une liste non exhaustive :

Code de bonne conduite de Paul Eluard Règlement des Châtaigniers
Mesures communes
Vous devez veiller à ne pas détériorer de quelque façon que ce soit bâtiments, espaces verts, arbres, arbustes… Veillez au respect des espaces verts et des plantations
Vous devez veiller à ne pas étendre du linge aux fenêtres, sur les balcons ou les loggias, visible de l'extérieur Evitez de faire sécher votre linge aux fenêtres
Mesures particulières
Les couloirs des parkings ne sont pas des dépotoirs Ne laissez pas vos animaux familiers en liberté, apportez une attention particulière à ce qu'ils ne puissent en aucun cas salir les parties communes de l'immeuble, notamment les espaces verts et les aires de jeux pour enfants
Les places de parking ne peuvent être utilisées pour effectuer des travaux mécaniques ou vidanger son véhicule

De même que pour les problèmes de bruit, les habitants sont très sensibles aux questions de propreté des parties communes et abordent spontanément souvent ce sujet, qui s'apparente à un conflit d'usage, dans le sens où certains souhaitent profiter d'un espace propre tandis que d'autres veulent utiliser leur liberté de le salir. Les comportements salissant ou dégradant, tout comme les comportements bruyants, sont jugés d'autant plus gênants qu'ils sont assimilés à un manque de respect d'autrui :

  1. «Oh il y a des papiers, il y a tout, je trouve ça lamentable (…) – Globalement, vous trouvez que les gens sont plutôt sales ? – Ils n'ont pas le respect d'autrui» (n°4, Gennevilliers, femme).

Il s'agit dans ce cas d'une forme de négation, ou du moins de non-reconnaissancee, de la présence et du souhait des voisins d'habiter un espace propre et calme, d'un partage et d'un respect commun de normes.

Ce conflit d'usage est exacerbé par le besoin de la plupart des habitants de préserver la propreté de l'espace collectif car celle-ci leur est indispensable à la construction d'une image valorisée de leur habitat. La propreté, tout comme le calme, qualité très appréciée, est interprétée comme un symbole de respect de l'ordre 15 , élément nécessaire pour qu'un espace soit perçu comme étant agréable. Alors que la saleté et le bruit sont associés au désordre, à la dégradation, à la laideur, la propreté est associée à la beauté et à l'harmonie. La majorité des habitants rencontrés cherchent donc à défendre une représentation positive de leur espace, en rappelant les règles qui doivent contraindre les comportements individuels, ainsi que la nécessité de les respecter.

L'interdiction de pendre du linge aux fenêtres, pratique pourtant répandue dans les villes méditerranéennes, relève du même objectif, comme l'explique cette habitante :

  1. «On ne peut pas mettre le linge aux fenêtres (…) c'est normal, sinon, quand on voit certains HLM, vous avez le linge qui pendouille partout c'est affreux, ça ferait vraiment la zone. Non, ça deviendrait la zone, à ce moment là. Et il y a certains endroits, ils font ça, vous allez du côté de Trappes dans les HLM, vous avez le linge qui pend partout. Ça, c'est pas beau.» (n°1, Garches, femme).

La comparaison avec une ville repoussoir 16 et l'utilisation de mots forts («affreux», «la zone», «pas beau») montrent bien l'importance de l'enjeu du respect de cette règle : il s'agit pour les habitants d'exprimer toute la différence, de montrer une franche distinction entre la résidence des Châtaigniers, espace matériel et groupe qui l'occupe, et des endroits stigmatisés.

Que les règles soient destinées à garantir la sécurité des habitants, à encadrer l'usage de l'espace domestique qui peut affecter l'usage d'autrui, ou encore à préserver l'immeuble ou la résidence d'une image dévalorisante en privilégiant le calme, la propreté, et les symboles de l'ordre en général (pas de linge qui «pendouille» aux fenêtres, pas d'antennes paraboliques placées anarchiquement), celles-ci tendent à organiser un usage commun de l'espace, qui restreint les libertés individuels afin de rendre possible un usage «normal» de l'espace domestique et de l'espace matériel commun. L'ensemble des règles édictées par l'organisme HLM s'appuie sur un ensemble de représentations sociales (par exemple, représentation sociale dévalorisante du linge aux fenêtres), et engendre un ensemble de normes comportementales spatialisées par les habitants, selon qu'ils transgressent ou respectent globalement cette règle (personne n'étend de linge aux fenêtres, ou au contraire, cette pratique est très répandue). L'appropriation collective de l'espace se heurte à des obstacles et le processus est peu abouti, lorsque les normes sont peu instituées, générant des conflits ou des sources de conflit potentiel (selon le même exemple, lorsqu'une partie des habitants s'interdit de pendre le linge aux fenêtres pour préserver son image, alors qu'une autre partie le fait). C'est pourquoi l'établissement et le rappel de règles de comportements collectives, qui permet d'instituer plus facilement des normes, est un rôle joué par les organismes HLM qui affecte le processus d'appropriation collective.

Notes
15.

cf. chapitre 4, § 1.1.

16.

cf. chapitre 4, § 2.3.