IV.3.1.1.Une évolution des relations.

Les habitants qui résident depuis des dizaines d'années dans l'immeuble Paul Eluard notent une évolution très nette des relations de voisinage caractérisée par une diminution importante des contacts. Ce processus est décrit spontanément au cours des entretiens par la moitié des anciens locataires à Gennevilliers, tandis qu'il n'apparaît pas à Garches. Ces habitants décrivent et déplorent une opposition de situations, entre un temps ancien, que certains datent au moment de leur arrivée dans le logement, où les relations entre les voisins étaient très amicales et solidaires, et le temps présent, où les gens ne se parlent plus beaucoup :

  • «Et vous trouvez que le quartier a beaucoup changé ? – Oui, énormément, moins de contacts avec les voisins» (n°2, Gennevilliers, femme).
  • «Et vous trouvez que le quartier a beaucoup changé depuis que vous êtes là ? – Oh oui, beaucoup, même dans les escaliers, dans l'immeuble, c'est plus les gens d'avant. Ce n'est plus du tout pareil. – Et ça va dans quel sens ? – Je crois que maintenant, c'est un petit peu chacun pour soi, bonjour c'est tout. – Alors qu'avant les gens se parlaient plus ? – Ah oui, ils parlaient de tout, et puis maintenant, c'est la catastrophe, avant c'était beaucoup mieux, et puis il n'y a pas que moi qui le dit, il y a beaucoup de gens qui le pensent.» (n°3, Gennevilliers, femme).
  • «Ça faisait comme une grande famille, il y a des moments, ça me faisait penser à une grande colo de vacances ! Tout le monde se connaissait, aussi bien ils connaissaient les frères, les amis, les copains… (…) la vie est ce qu'elle est, et il y en a qui ont vieilli, qui sont morts, ils les ont remplacés. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus disparate (…) le côté « ouais, je te connais » , un peu village de campagne, y est beaucoup moins» (n°5, Gennevilliers, homme).
  • «C'est vrai que c'était mieux il y a 20 ans ! (…) c'est vrai qu'entre voisins, on ne se parle pas beaucoup, alors qu'avant, si.» (n°8, Gennevilliers, couple).
  • «Est-ce que vous vous êtes sentie bien accueillie ? – Oui, oui, à l'époque, c'était beaucoup mieux que maintenant, je trouve. – Les gens se parlaient plus ? – Voilà, exactement, les gens étaient tous sympathiques, tout le monde se disait bonjour, maintenant, pfff ! (…) à l'époque, il y avait une très bonne ambiance, tout le monde se connaissait, s'entraidait, beaucoup plus que maintenant, maintenant vous pouvez rester dans votre maison, personne ne vient voir si vous êtes malade !» (n°9, Gennevilliers, femme).
  • «Vous savez, c'est chacun pour soi , maintenant, tout le monde rentre chez eux, et puis ne se parle pas» (n°14, Gennevilliers, femme).

S'il est déjà très difficile de vérifier ces discours par l'observation des comportements, ce qui nécessiterait d'élaborer une méthode pour quantifier les contacts entre voisins, il est encore plus délicat de vérifier l'ampleur de l'évolution exprimée par les habitants. Néanmoins, la forte convergence de ces citations permet de conclure au partage d'une représentation collective d'une évolution marquée de la sociabilité au sein de l'immeuble Paul Eluard, d'autant plus que ces habitants avancent les mêmes principales explications de ce processus, qui est dû, selon eux, à l'arrivée de nouveaux locataires :

  • « Et puis aussi, il y a des nouveaux, des fois, des qui déménagent, ils en remettent d'autres, on ne les connaît pas toujours» (n°3, Gennevilliers, femme).
  • « Maintenant, il y a plus de nouveaux locataires, moi, ça fait plus de 17 ans que je suis ici, bientôt 18 ans, et la plupart des anciens locataires, il y a en a qui sont morts, il y a en a qui sont partis… alors il y a des nouveaux, maintenant… - et c'est plus difficile de discuter avec les nouveaux ? – bah oui, il y en a qui ne sont pas trop aimables» (n°14, Gennevilliers, femme).
  • « C'est vrai qu'entre voisins, on ne se parle pas beaucoup, alors que dans le temps, si, parce qu'on a tous emménagé là, il n'y avait que des gamins. On avait le même âge, on allait à l'école ensemble, maintenant, on est décalé, parce que tout le monde est mélangé.» (n°8, Gennevilliers, couple).
  • «Toutes les personnes qui étaient dans l'escalier étaient des personnes soit de Gennevilliers, soit des gens etc., ça, ça faisait des liens qui n'existent malheureusement plus aujourd'hui. (…) c'était un grand melting pot de gens qui étaient tous du coin, (…) et ils se sont retrouvés, ils se connaissaient sur les bancs de l'école, et ils se sont retrouvés voisins. (…) aujourd'hui, c'est beaucoup plus disparate, c'est beaucoup plus des gens qui sont arrivés comme moi, c'est-à-dire ils ont fait une demande quelque part, et qui arrivent. » (n°5, Gennevilliers, homme).

Cet habitant explique très clairement les raisons de l'évolution de la sociabilité dans l'immeuble. Selon lui, les premiers locataires qui ont investi le bâtiment venaient pour une grande majorité des anciens logements de la ville qui devaient être démolis et se connaissaient déjà. Les relations étaient déjà nouées, d'autant plus, selon une autre habitante (n°8, Gennevilliers, couple), qu'il s'agissait majoritairement de familles d'un âge comparable, adoptant le même rythme de vie. Au fil des départs de ces anciens locataires, les nouveaux venus, originaires d'autres quartiers ou d'autres villes, et d'âge divers, n'ont pas souhaité ou ne sont pas parvenus à développer la même sociabilité. Les relations sont donc globalement devenues plus distantes ou plus rares, excepté entre anciens locataires, qui disent poursuivre des relations d'amitié plus que de voisinage. Les habitants, quelle que soit leur ancienneté dans l'immeuble, s'accordent à dire que leurs relations se réduisent maintenant à de simples salutations, dans chacun des deux sites.