V.1.3.2.L'organisation du chantier

Le passage d'une activité de construction neuve à une activité de réhabilitation a également nécessité pour les organismes HLM d'adapter les procédures de dévolution des marchés et l'organisation des chantiers. La réalisation des travaux représente en effet une gêne importante pour les locataires, en termes de bruit, de désordre, de poussière, de coupures d'eau et d'électricité. Les organismes HLM doivent donc organiser le chantier de telle sorte qu'il gêne le moins possible les habitants. De plus, certaines actions simples en construction neuve deviennent compliquées dans le bâti existant : le stockage et l'acheminement des fournitures et matériels, l'ouverture et la fermeture des appartements au moment des travaux, les relations entre les ouvriers et les locataires sont ainsi autant d'éléments qui doivent être correctement gérés.

Les organismes HLM ont donc dû s'adapter à ces nouvelles conditions de réalisation. Certaines solutions innovantes ont été expérimentées : la «maîtrise d'œuvre complète», par exemple, permet de confier au maître d'œuvre les missions sociales complémentaires, telles que réalisation des enquêtes et diagnostics, communication avec les locataires avant et après travaux, tâches d'accompagnement social, ce qui permet d'assurer une continuité entre études préalables, conception du projet et réalisation des travaux. L'appel d'offre sur avant-projet «performanciel» permet quant à lui de consulter les entreprises sur la base d'un avant-projet dans lequel certaines caractéristiques techniques sont exprimées sous la forme de performances, dont un prix limite est fixé : le maître d'ouvrage peut ainsi retenir des procédés fournissant une meilleure organisation générale. Si ces procédures expérimentales de dévolution des marchés ne sont utilisées qu'exceptionnellement, elles sont révélatrices de l'effort réalisé par les organismes HLM pour améliorer les conditions de réalisation des travaux.

Ainsi la très grande majorité des opérations des années 1990 tiennent compte de ces avancées et sont réalisées avec une perte de temps minimisée. Généralement, les locataires sont prévenus à l'avance de la date de réalisation des travaux dans leur logement afin que les ouvriers puissent entrer à l'heure convenue, et l'ensemble des interventions intérieures sont réalisées en une fois pour un même logement, afin d'éviter des prises de rendez-vous multiples, ce qui nécessite une grande précision dans les délais d'approvisionnement.

Les entreprises ont également dû s'adapter pour répondre à cette nouvelle demande. Certaines se sont spécialisées en réhabilitation, en formant leur personnel à ces conditions de travail spécifiques, accroissant par exemple les compétences des ouvriers et des pilotes de chantier en matière de relations humaines. Certains cabinets d'architectes ont également développé de nouvelles aptitudes afin de mieux répondre aux attentes des maîtres d'ouvrage : le travail de conception a dû évoluer, la créativité ne consistant plus à imaginer entièrement de nouveaux bâtiments mais à tirer parti des qualités initiales d'un immeuble pour les mettre en valeur, les connaissances des nouveaux produits et matériaux mieux adaptés à la rénovation ont dues être étendues…

L'organisation des chantiers tend de ce fait à se ressembler d'une opération sur l'autre, car les contraintes liées à la nécessité de minimiser la gêne des locataires impliquent de concentrer les interventions intérieures sur des temps courts, de prendre en compte en amont les difficultés liées à la manutention, à l'approvisionnement, à l'information des locataires… La spécialisation des entreprises pour ces tâches tend également à renforcer une similitude des pratiques par le développement de leur professionnalisme.

Ainsi, les différents facteurs évoqués : le poids de la réglementation, les stratégies des organismes HLM visant à remettre à niveau techniquement et valoriser leur patrimoine, le développement de savoir-faire directement liés aux contraintes imposées par la présence des habitants, conduisent à une homogénéisation des réhabilitations, qui concerne les deux phases d'élaboration du projet et de réalisation des travaux. On peut définir une sorte d'opération standard à partir des points évoqués. Le programme de travaux comprendrait des travaux de mises aux norme, de mises en sécurité et d'embellissement, de telle sorte que ces travaux puissent bénéficier de subventions : mises aux normes des installations électriques, remplacement des fenêtres et adaptation de la ventilation, embellissement des façades avec isolation et éventuellement reprise de l'étanchéité, traitement des halls avec pose de digicodes ou interphones… La concertation permettrait d'améliorer un projet déjà abouti dans ses grandes lignes et serait mise en œuvre par des réunions d'information, par la constitution d'un groupe de travail représentant un intermédiaire entre l'organisme et les locataires, et une consultation générale permettant aux habitants de se prononcer pour ou contre le projet proposé. Le chantier serait organisé de façon à limiter la gêne des locataires et les entreprises retenues auraient une expérience de travail en site habité.

Les opérations étudiées, de l'immeuble Paul Eluard et de la résidence des Châtaigniers, s'éloignent peu de cette réhabilitation standard : on y retrouve des similitudes en matière de programme de travaux (façades, fenêtres, électricité, halls), de concertation (lancement par une réunion publique, constitution de groupes de travail, vote des locataires) et d'organisation de chantier (planning précis et respecté des interventions, fiches de contrôle établies par les ouvriers). Mais au delà de ces ressemblances, produites par les divers facteurs évoqués, ces opérations ont été réalisées dans un esprit différent : de façon sommaire, la réhabilitation de l'immeuble Paul Eluard peut être présentée comme liée aux notions de solidarité et de citoyenneté, tandis que celle de la résidence des Châtaigniers est liée aux notions de service et de client.