VI.1.2.3.Les craintes du chantier.

Une autre source d'inquiétude au moment de l'annonce de la réhabilitation réside dans la gêne que provoque inévitablement la réalisation de travaux, dans le déroulement du chantier. Les habitants redoutent les nuisances qu'engendre généralement le travail des ouvriers, que ce soit dans leur appartement ou dans les parties communes. A ce titre, le bruit, la poussière et la saleté en général, les coupures d'eau et d'électricité et la mise hors service des ascenseurs sont les désagréments les plus souvent cités.

Si les personnes jeunes et absentes de leur logement dans la journée ne redoutent pas trop ces gênes, celles-ci posent beaucoup plus de problèmes aux personnes âgées, malades ou qui travaillent la nuit, et qui ont besoin de se reposer le jour. Dans ce cas, la durée du chantier est une donnée importante car chacun redoute qu'il ne dure trop longtemps. Les personnes qui travaillent à domicile se montrent particulièrement inquiètes et parmi elles, les assistantes maternelles redoutent l'incidence des travaux de réhabilitation dans leur vie quotidienne et l'accomplissement de leurs tâches. Le bruit qui réveille les enfants qu'elles gardent, les coupures d'eau et d'électricité qui rendent difficile la préparation des repas de mi-journée, la poussière à laquelle les bébés sont plus sensibles et la mise hors service des ascenseurs qui leur impose de monter et descendre les courses, les poussettes et les enfants par les escaliers, rendent leur tâche beaucoup plus pénible. Ces femmes se montrent donc particulièrement inquiètes de l'organisation du chantier, de la gêne qu'il provoquera et de sa durée. Certaines réactions, à l'exemple de celle de cette assistante maternelle, sont très vives :

«Et sur le coup, vous avez réagi comment, quand vous avez su ? – Moi, j'étais pas pour, j'étais contre, je me suis dit : « on va être viré » , parce que quand ils percent… Et l'ascenseur, on n'avait pas d'ascenseur, parce qu'ils refaisaient aussi. C'était dur, je n'en pouvais plus, et puis avec eux [elle désigne les enfants qu'elle garde], il fallait monter, c'était l'horreur pour beaucoup de gens. C'était vraiment la catastrophe ! » (n°3, Gennevilliers, femme).

L'utilisation de l'expression«on va être viré» montre à quel point le chantier peut être perçu comme une perturbation importante, jusqu'à rendre impossible l'usage habituel du logement. Cette personne, comme d'autres, redoutait tant la phase de réalisation des travaux qu'elle préférait que la réhabilitation n'ait pas lieu, même si elle considérait par ailleurs que les travaux étaient devenus nécessaires.

Une autre difficulté lors du chantier réside dans la nécessité de déplacer les meubles afin de permettre aux ouvriers d'intervenir correctement sur les murs à traiter. Cette tâche inquiète particulièrement les personnes âgées ou les femmes seules qui disposent de peu d'aide, même si finalement les ouvriers déplacent eux-mêmes les meubles si nécessaire. Cette locataire explique ainsi ses craintes :

‘«Et ça ne vous a pas fait un peu peur ? – Oh si ! et on n'avait pas le choix… – Et qu'est-ce que vous craigniez exactement ? – Ce que je craignais, c'était déjà de déménager tout l'appartement, c'est-à-dire qu'il fallait retirer tous les meubles, pour qu'ils [les ouvriers] puissent bouger, donc ça, c'était lourd… » (n°1, Gennevilliers, femme).

Le déplacement des meubles est perçu comme une tâche désagréable, par l'organisation qu'elle demande et les perturbations de la vie quotidienne et la fatigue qu'elle entraîne.

De façon très générale, les locataires redoutent que la phase de réalisation des travaux ne perturbe leur intimité. Cette inquiétude apparaît clairement dans les discours des habitants, même si elle paraît difficile à décrire, et reste présentée de façon floue, sans beaucoup de précision, comme dans cet exemple :

« J'ai eu peur d'affronter tout ça, dans le dérangement que ça représentait, sur ce terrain là » (n°5, Gennevilliers, homme).

Une locataire parvient cependant à décrire très précisément le désordre qu'elle redoute, crainte qu'on peut supposer assez largement partagée, même si elle est ressentie avec des intensités très différentes selon les personnalités :

« Mais au moment où vous avez appris qu'il allait y avoir une réhabilitation, ça a dû vous faire un peu peur ? – Ca m'a déstabilisée, parce que je suis une chieuse, une maniaque sur mes affaires, dans la mesure où si le téléphone, c'est sa place là, c'est pas comme ça [elle le déplace de travers par rapport au meuble sur lequel il repose]. Je suis comme ça, je peux avoir de la poussière, ça m'est égal, mais il ne faut pas qu'on déplace mes meubles. Ca va avec la vie qui va avec, je ne supporte pas, si on s'éparpille comme ça, comment on peut aller travailler la tête tranquille, tout en sachant que tout est un peu éparpillé à la maison, on veut un papier, on ne le trouve pas, on veut ceci, on ne le trouve pas, le mari vous téléphone : « qu'est-ce que tu as fait de ceci ? » , « oh bah je n'en sais rien, tu n'as qu'à fouiller » . Non, ça ne va pas dans ma logique à moi. Moi, ma logique, c'est que chaque chose doit avoir sa place. Alors la réhabilitation, j'ai donc été assez perturbée, d'avoir mes casseroles sur le buffet, c'est ... ! ça n'allait plus du tout. » (n°12, Gennevilliers, femme).’

La phase de chantier est ainsi perçue comme un moment de perturbation de la vie quotidienne dans l'espace domestique, qui empêche les comportements d'usage habituels et qui gêne l'accomplissement des gestes les plus fréquents. Le désordre provoqué dérange les habitants dans leurs habitudes, dans leur organisation quotidienne et dans l'usage de leurs repères familiers. Les habitants anticipent et craignent donc dès l'annonce des travaux une phase de bouleversement de leur espace domestique. Ils redoutent également les conséquences éventuellement durables de ces modifications.