VII.1.1.1.Une crise de confiance à Gennevilliers.

L'amicale des locataires de l'immeuble Paul Eluard a été créée à la fin des travaux de réhabilitation, par un ménage proche de l'âge de la retraite (n°7, Gennevilliers, couple) et qui s'était installé dans l'immeuble en 1967 (sept ans après la date de construction). Ce couple, habitant donc le bâtiment depuis de nombreuses années, avait pris l'habitude de participer aux activités organisées par la municipalité, notamment aux comités de quartier, et s'était ainsi familiarisé avec la vie associative. Devenues président et trésorière de l'association, ces personnes ont reçu le soutien de la CNL (Confédération Nationale du Logement) et étaient notamment secondées par les locataires volontaires pour participer à la concertation organisée lors de la réhabilitation.

Les dirigeants ou les membres actifs de l'association expliquent qu'ils ont souhaité créer cette amicale afin d'apporter des améliorations à l'immeuble réhabilité et obtenir de l'office HLM des travaux supplémentaires, complémentaires des premiers travaux réalisés ou remédiant à des problèmes techniques et d'usage divers. Cette volonté est née du constat d'un certain nombre d'insatisfactions, qui se traduisaient par des appels des locataires mécontents, demandant aux comités de concertation des explications sur les problèmes rencontrés (fuites d'eau, peintures qui cloquent, etc.). Les quelques volontaires les plus motivés qui s'étaient investis dans les négociations avec l'office HLM lors de la phase de concertation ont donc souhaité mieux connaître l'ensemble de ces problèmes. Ils ont offert aux locataires un cadre d'expression hors de la présence des professionnels de l'office pour pouvoir proposer des solutions plus abouties et réfléchies.

Les membres actifs de l'amicale insistent sur le fait qu'ils ont monté leur association non pas en réaction à l'office HLM, dans un esprit de contestation, mais qu'ils souhaitaient avant tout se montrer ouverts et constructifs. Même si de vives discussions ont eu lieu, l'organisme HLM n'était pas considéré comme un ennemi et leur but était bien de travailler en partenariat à l'amélioration des logements. L'office HLM et la municipalité ont réagi positivement à la création de l'amicale, en encouragement et en soutenant son organisation, considérant que cette association était le prolongement naturel de la concertation mise en place et appréciant de pouvoir disposer d'un intermédiaire dans la discussion et la négociation entre les professionnels et le groupe d'habitants.

Forte du soutien de l'office HLM et de nombreux locataires intéressés, l'amicale a pu travailler sur un certain nombre de sujets et obtenir des améliorations. Faisant valoir, par exemple, les difficultés auxquelles les personnes âgées allaient avoir à faire face pour monter leurs courses au moment de la réfection des ascenseurs, l'amicale a pu persuader le bailleur de mettre en place un système d'aide gratuit : des jeunes gens étaient embauchés pour monter chaque matin chez les personnes qui leur faisaient signe et se chargeaient d'aller acheter et de rapporter les produits demandés. L'amicale s'est également occupée d'améliorer la communication entre habitants et professionnels. Le journal de l'immeuble Paul Eluard, «le rapporteur», a été lancé, bien qu'un seul numéro ait été diffusé, au début de l'année 1998. On y trouve des articles sur les manifestations festives (carnaval, brocante, etc.), des conseils sur les comportements à adopter pour renforcer la sécurité quotidienne (ne pas nourrir les pigeons, ne pas jeter de verre dans les vide-ordures), ainsi que les réponses de l'office aux questions de l'association sur les travaux de réhabilitation (dysfonctionnement des chauffe-eau et des volets, montant de l'augmentation de loyer,…).

Si l'amicale a pu ainsi être active quelques années à la fin de la réhabilitation, deux facteurs, selon ses responsables, se sont combinés pour la conduire à sa perte : une crise de confiance suite aux événements liés aux problèmes de stationnement et le discrédit jeté par une association parallèle. La plus forte revendication des habitants concernait le manque de places de stationnement devant l'immeuble. Une première réunion a donc été organisée sur le parking, entre les membres de l'amicale, un représentant de la municipalité en charge des questions d'aménagement et les locataires qui étaient prévenus et pouvaient descendre participer au débat s'ils le souhaitaient. Le professionnel de la mairie a conclu cette réunion en demandant à l'amicale de travailler à l'élaboration d'un projet, ce qui a été fait : les habitants se sont mis d'accord sur une disposition des véhicules en épi, utilisant une zone gazonnée, permettant de gagner une vingtaine de places. Mais en dépit de la réalisation de ce travail et de nombreuses relances de plus en plus pressantes, la municipalité a fait traîner sa réponse pendant plus d'un an, pour finalement annoncer que la réalisation d'un quelconque aménagement concernant le stationnement était impossible. A la suite de cette déconvenue, qui a profondément déçu les locataires qui s'étaient intéressés au projet, l'amicale a perdu la confiance de ses adhérents.

Selon ses membres actifs, elle a également souffert du discrédit organisé par un petit groupe de quelques personnes proches du Front National. Ces habitants n'ont révélé ni leur identité ni leur liaison avec ce parti politique, mais ont diffusé des tracts critiquant anonymement les agissements de l'amicale des locataires. Ils ont également essayé d'intimider certains responsables en salissant leurs voitures.

Sous le coup de ce double discrédit, l'amicale a perdu toute la confiance des habitants et ses membres se sont démobilisés. Le couple qui lui avait donné naissance est parti vivre sa retraite en province et personne n'a décidé de lui succéder à la présidence de l'amicale, qui du coup s'est éteinte.

L'amicale n'a donc vécu que quelques années. Même si elle a pu obtenir quelques améliorations de la part de l'office HLM suite aux travaux de réhabilitation et jouer un rôle de transmission de l'information entre les professionnels et les habitants, elle n'a pas eu gain de cause sur les points les plus importants pour les locataires. En ce sens, ses membres n'ont pas réussi à en faire une véritable force de négociation durable sur le devenir de l'espace collectif.