VII.1.2.2.Une concertation-négociation pour quelques locataires

Si les professionnels considèrent qu'ils ont offert aux locataires la possibilité de s'exprimer, seuls 9 ménages sur les 27 rencontrés estiment que les représentants des habitants ont pu négocier avec les organismes HLM. Sur ces 9 ménages, 4 ont directement participé à la concertation, en étant présents lors des réunions organisées par les bailleurs.

Parmi ceux-ci, un couple de l'immeuble Paul Eluard s'est particulièrement investi dans cette tâche et reste le seul à considérer les locataires comme un partenaire de l'office HLM. Ces deux personnes ont toujours beaucoup œuvré pour l'ensemble des habitants : elles appartiennent au comité de quartier mis en place par la municipalité et participent de ce fait à l'organisation de nombreuses animations, elles ont créé l'amicale des locataires qu'elles ont présidée durant quelques années et elles s'occupent régulièrement des quêtes au sein de l'immeuble (cf. § IV.3.2.2.). Au moment de la réhabilitation, ce couple s'est porté volontaire pour participer au comité de concertation. Cette habitude de participation et de dialogue avec les professionnels de l'office HLM ou de la municipalité est certainement un facteur favorable à la conception d'un partenariat avec les professionnels, tel qu'il apparaît dans ces propos :

‘«Et c'est donc eux qui vous l'ont annoncé aussi [la réhabilitation] ? – Oui, c'est eux, et puis nous on a travaillé avec eux, je vous dis, pour choisir les fenêtres. Les fenêtres, c'est nous qui les avons choisies. On a choisi pour les balcons, la couleur du bâtiment aussi, la couleur. On a choisi pour savoir si on voulait une baignoire ou une douche.– (…) Est-ce que vous pensez que l'organisme sait bien ce qu'il faut faire comme travaux ? – Oh non, non. Pas sur tout, surtout. Il faut sans arrêt, sans arrêt se battre. Un peu pour tout, d'ailleurs, je crois. Encore cette semaine, pour l'ascenseur. » (n°7, Gennevilliers, couple).’

La répétition du terme «choisi» montre une insistance révélatrice de l'importance que revêt pour ces locataires le fait d'avoir pu intervenir directement dans le processus décisionnel. L'utilisation des termes «on a travaillé avec eux» et «il faut sans arrêt se battre» laisse entendre que ces habitants se considèrent comme des partenaires de l'office HLM. Ils considèrent qu'ils constituent une force d'opposition, suffisamment forte pour influencer les professionnels comme ils l'entendent, mais non systématique et stérile, cherchant au contraire à parvenir à des solutions négociées et consensuelles.

Mais ce discours n'est celui que de ce seul ménage. Les autres personnes rencontrées qui ont également participé à la phase de concertation, mais en s'investissant pour la première fois dans la vie collective, ne se considèrent pas comme des partenaires de l'office qui auraient d'importantes capacités d'opposition, mais plutôt comme des locataires qui ont pu jouer un rôle décisionnel et de proposition dans les limites de la concertation organisée par les organismes :

Ces propos apparaissent plus mesurés que les précédents : si ces habitants considèrent également qu'ils ont eu la possibilité de choisir des solutions qui leur plaisaient davantage, l'emploi de certains termes et les exemples donnés viennent nuancer ces affirmations. Ainsi dans la première citation, les mots «un peu» dans «les gens ont proposé un peu ce qu'ils voulaient» affaiblissent cette idée de proposition des locataires, tandis que dans la seconde, le rappel des contraintes financières des organismes limite la notion de choix ; enfin, dans les deux citations, le seul exemple donné est celui des fenêtres, et ces locataires ne se souviennent pas facilement d'autres choix de travaux effectués par les habitants. Ces personnes, qui ont participé activement au processus de concertation considèrent donc que les habitants ont pu donner leur avis et choisir un certain nombre de travaux, mais sans représenter une force d'opposition contre les organismes HLM.

Un autre ménage développe une opinion très proche, à Garches cette fois :

« (lui) Franchement ça s'est organisé d'une manière démocratique. C'est vrai que les 3F n'ont pas fait preuve, si l'on veut, d'autoritarisme, ou quelque chose comme ça, ils ont mis toutes les cartes sur la table, et on va essayer de voir pour organiser le mieux possible. (elle) Oui, parce que vous avez amélioré certaines choses. (lui) On a posé des questions. (elle) Ce qui devait se faire s'est fait, même si vous n'étiez pas tout à fait d'accord, mais vous avez amené autre chose, quand même. Le fait de mettre des entrebâilleurs, comme il y avait une femme dedans, les femmes ont quand même un petit plus, et ça a permis d'apporter autre chose. (lui) Oui, des conversations, pour l'organisation. » (n°4, Garches, couple).’

Si ces personnes considèrent que le comité de concertation a pu apporter un certain nombre d'améliorations au programme initial, grâce à une attitude ouverte et «démocratique» de l'organisme HLM, elles précisent également que les habitants n'ont pas eu gain de cause sur certains points («ce qui devait se faire s'est fait, même si vous n'étiez pas tout à fait d'accord.) Elles précisent également que les avancées obtenues grâce au comité de concertation concernent des aspects relativement secondaires, portant essentiellement sur l'organisation du chantier. La dernière phrase est à cet égard très révélatrice : les réunions ont donné lieu à des «conversations» plus qu'à une négociation, portant sur «l'organisation» du chantier (tels qu'horaires de travail ou port d'un badge par les ouvriers, ce qui est précisé dans la suite de l'entretien) plus que sur le programme des travaux. Les personnes qui se sont investies dans la concertation se montrent ainsi très satisfaites d'avoir pu influencer le cours de l'opération, tout en mesurant les limites de leurs interventions.

Quelques locataires qui n'ont pas participé directement aux réunions de concertation considèrent également que la réhabilitation a donné lieu à une consultation des habitants. Ils justifient qu'ils ont pu choisir les travaux en citant les moyens mis en œuvre dans le cadre de la concertation, comme la réalisation d'un vote, ou les résultats de cette négociation concernant la modification du programme de travaux :

Dans ces deux cas, ces locataires sont convaincues d'avoir eu une influence sur le programme de travaux, même si cette influence est limitée par le biais du vote et du choix final à une majorité qui ne correspond pas toujours aux préférences personnelles. Si ces justifications d'une consultation des habitants s'appuient sur l'exemple précis du vote et de la prise en compte des résultats par l'organisme HLM, ce même point de vue peut être développé à partir d'une grande confiance accordée aux bailleurs, comme dans ces deux exemples :

Ces personnes n'ont pas participé régulièrement aux réunions, ne se souviennent ni des questionnaires qui leur ont été adressés, ni des points acquis par les locataires, mais se sont forgées une opinion favorable au moment de la réhabilitation, estimant que le processus de concertation se déroulait correctement. Ces ménages sont par ailleurs très satisfaits de leur logement qu'ils ont personnellement beaucoup modifié, ainsi que des prestations des organismes, avec lesquels ils entretiennent de bonnes relations. Ce contexte de représentations générales des conditions de vie très positives est certainement un facteur favorable au développement de représentations d'une concertation constructive, même si le besoin de s'y investir ne s'est pas fait ressentir.