VII.1.2.3.Une concertation-information pour la majorité des locataires.

Les locataires qui estiment avoir joué un rôle décisionnel au cours de la réhabilitation sont malgré tout peu nombreux : la grande majorité des habitants ne considèrent pas avoir eu une influence collective sur l'opération de réhabilitation. Bien souvent, ces points de vue découlent d'un manque de confiance dans les capacités de négociation des organismes HLM comme des locataires.

Certains locataires, comme dans ces deux exemples, s'appuient sur des a priori négatifs concernant les capacités de dialogue et la volonté des organismes HLM de prendre leurs aspirations en compte, ce qui les amène à n'apporter aucun crédit aux professionnels qui disent leur offrir une possibilité de choix :

L'impression que tout est joué d'avance, que les locataires ne pourront en fait rien changer, relève d'idées préconçues, selon lesquelles les organismes HLM interviennent comme ils l'entendent, en fonction des contraintes qui pèsent sur eux, notamment financières. Ces habitants s'appuient sur un ensemble d'idées préalables, par lesquelles ils pensent être exclus des processus décisionnels, et ne modifient pas leur point de vue au fil de la réhabilitation. Ils justifient au contraire leurs idées premières en remarquant que les professionnels choisissent leurs programmes de travaux en fonction de leurs seules contraintes financières. Ils n'accordent de la sorte aucune confiance aux capacités de négociation des organismes HLM.

Ces idées préconçues négatives peuvent également concerner les capacités de négociation des habitants. Un locataire explique ainsi que, selon lui, les habitants comme les employés d'une entreprise importante n'ont pas de réel pouvoir d'opposition :

‘«Et ça, avant que les travaux soient faits, vous n'avez pas essayé d'en savoir plus, et de dire : «on veut la baignoire, on veut ça» ? – C'est comme dans les facultés ou les grandes sociétés, ils vous parachutent des notes, en vous disant tel jour les travaux vont commencer, on vous demande pour tel jour de rassembler tous vos meubles car on va changer l'installation électrique qui n'est plus aux normes. Stop. Après, tel jour, des gens vont venir, c'est une équipe de polonais, ou de yougoslaves qui ne parlent même pas le français, tel jour, pof, voilà. On ne peut rien dire, on ne peut rien faire.» (n°8, Garches, couple).’

Cette personne utilise très souvent l'expression «c'est le pot de terre contre le pot de fer», qui lui semble bien résumer une impression générale très vive de ne jamais pouvoir intervenir dans les prises de décision de toute institution. L'opération de réhabilitation est ainsi intégrée tout naturellement dans cet ensemble de représentations, ce qui permet de maintenir toute sa validité, en refusant de reconnaître la consultation à laquelle elle a donné lieu.

Outre les capacités de négociation des deux parties, certains locataires remettent en cause le respect des règles établies, notamment par l'office, à l'exemple de cet habitant qui s'est beaucoup investi dans le processus de concertation. Ce locataire a été très déçu des résultats des travaux, considérant que la réhabilitation a entraîné une plus mauvaise qualité d'usage des appartements, en raison de détails qui n'ont pas été bien pris en compte, tels que l'emplacement du nouveau chauffe-eau ou la taille du nouveau lavabo. Il regrette également la transformation des balcons en loggias. Son mécontentement lui semble être partagé par un grand nombre de ses voisins. Il en vient ainsi à poser la question du respect des résultats du vote par l'organisme HLM :

‘«Oui, concertation : je l'ai vue, mais je me pose la question : est-ce que c'est les gens qui se sont trompés, est-ce qu'ils mentent, ou est-ce que c'est l'office qui n'a pas répondu aux desiderata des gens, parce qu'ils avaient un projet en tête, et qu'ils ont suivi les grandes lignes de leur projet, peut-être avec quelques adaptations, avec les contraintes financières. Ça arrive à des conneries. Moi, je sais pourquoi ils ont fait ça, non pour en avoir discuté, mais j'en suis quasiment certain : ils ont cru qu'en fermant là [les loggias], ça allait améliorer l'étanchéité calorifique : erreur monumentale ! » (n°5, Gennevilliers, homme).’

Ce locataire estime que le bailleur organise un processus de concertation rassurant mais non fiable et qu'il se réserve la possibilité de ne pas respecter les choix collectifs des locataires afin de poursuivre son projet initial, dans lequel ses marges de manœuvre sont réduites en raison de ses contraintes financières. Le mécontentement que ressent ce locataire face aux résultats de la réhabilitation est un facteur favorable à la négation d'une réelle consultation des habitants. Pour d'autres locataires également, une profonde insatisfaction entraîne l'idée d'une absence de concertation efficace, mais de façon plus floue et moins argumentée, comme dans cet exemple :

« (lui) Ils sont venus en nous disant « qu'est-ce que vous voulez ? » , donc on a dit ce qu'on voulait, et entre ce qu'on a dit, et ce qu'on a eu, (elle) c'était complètement différent. Ça ne correspond pas, parce que c'est à la majorité des gens. (…) – Et vous alliez aux réunions, pour dire ce que vous vouliez ? – (lui) Non, on y est allé au départ, (elle) comme tout le monde, mais c'est pareil, comment on peut débattre d'un sujet pareil ? Je ne sais pas, ce n'est pas nous qui prenons les décisions. Qu'ils nous demandent le choix, mais la preuve que ça sert à rien, puisqu'on n'a pas eu ce qu'on voulait ! » (n°8, Gennevilliers, couple).

Ce couple entretient une confusion entre le fait de n'avoir pu choisir les travaux en raison des difficultés d'organisation de la concertation et le fait de n'avoir pu obtenir satisfaction en raison des résultats d'un vote contraire à ses propres souhaits. Ces deux conceptions de la concertation sont antinomiques, la première étant révélatrice d'une consultation impossible, et la seconde d'une consultation réelle et démocratique. Mais dans les deux cas, la concertation paraît décevante et inutile, puisqu'elle ne permet pas d'obtenir la réalisation des travaux souhaités. En soulignant que la concertation est inutile, les habitants rejettent l'idée que les organismes HLM cherchent à mettre en oeuvre la participation des habitants à la conception du projet et à sa conduite, entretenant de la sorte une relation négative avec le bailleur.

Cette impression d'une participation inutile est souvent le support d'une négation de la consultation effectuée par les organismes, comme dans cette citation :

‘«Et tout le monde était d'accord ? – Oui, ils étaient d'accord, même les responsables, ils ont été d'accord. – Et comment vous avez pu leur dire, vous êtes allée les voir ? – Oh il y avait des réunions, moi, je l'ai dit carrément, « moi » , j'ai dit, « je ne vais me pencher du 7ème, pour faire mes carreaux extérieurs, ce n'est pas possible. » C'est quand même un morceau, d'habitude, on avait des fenêtres basculantes, que là, maintenant, les trois, fenêtres, elles s'ouvrent. (…) – Est-ce que vous avez utilisé le mot concertation ? le mot concertation, parce qu'à l'office, ils l'emploient souvent. – Non, non. – Souvent, ils disent que pour eux, la concertation, c'est important, avec les locataires… – Alors tu sais, tu dis quelque chose, ils n'en prennent pas note, alors ça ne sert pas à grand chose. (…). Ils vont dire qu'il y a des choses plus importantes à faire avant. Voilà. » (n°10, Gennevilliers, femme).’

Cette locataire considère que si son avis est pris en compte lors d'une réunion, c'est une évidence qui s'imposait à tous, tandis que s'il n'est pas pris en compte, c'est qu'il ne sert à rien de participer. La concertation est alors soit minimisée au point d'être négligée, soit perçue comme inutile donc inexistante.

Enfin, nombre de locataires estiment qu'ils n'ont rien pu négocier avec les organismes sans donner d'exemples précis. L'envoi des questionnaires et les votes sont alors oubliés et les réunions sont présentées comme de simples réunions d'information, au cours desquelles les organismes HLM ne cherchaient pas à connaître les opinions, les critiques et les propositions de leurs locataires, pour améliorer leur projet ou la conduite des travaux :

Pour ces habitants, les organismes HLM se sont contentés d'informer leurs locataires : la notion de consultation est entièrement absente, les bailleurs sont toujours présentés comme étant à l'origine de toute décision et les réunions sont l'occasion non de dialoguer et encore moins de négocier mais seulement de présenter les projets.

Alors que les professionnels placent les habitants au centre de leurs préoccupations et engagent un dialogue avec les locataires, même s'ils restent les seuls décideurs finaux, seul un petit nombre de personnes estiment avoir pu négocier le programme de travaux. Il s'agit généralement des locataires qui ont l'habitude de s'investir dans d'autres projets, menés par l'organisme ou par la municipalité, et de ceux qui entretiennent des relations de confiance avec les professionnels et se montrent satisfaits de la qualité de leur cadre de vie. La majorité des habitants cependant n'estiment pas avoir influencé collectivement la conception du programme de travaux ou le déroulement du chantier, dans la mesure où la concertation a été réduite à une simple information. Les habitants ne considèrent donc pas, de façon majoritaire, qu'ils ont pu négocier les travaux réalisés dans l'espace collectif, par le biais des associations ou par une influence commune, contrairement aux stratégies qu'ils ont développées dans les espaces domestiques et qu'ils tendent à mettre en avant dans leurs propos. Les transformations matérielles de l'espace collectif réalisées font ainsi peu l'objet de comportements d'appropriation par lesquels les habitants s'en considèrent comme les auteurs. La faible mobilisation à l'origine de cette faible appropriation collective s'explique par le manque de représentations consensuelles de l'espace collectif et de sa gestion.