VII.1.3.1.De fortes contraintes

Lorsque le sujet de la concertation est abordé au cours des entretiens avec les habitants, ceux-ci disent généralement spontanément qu'ils n'ont pas participé aux réunions organisées et en donnent la raison, comme s'ils cherchaient à se justifier d'un comportement dévalorisé. Les précisions qu'ils fournissent alors concernent le plus souvent les contraintes qui s'imposent à eux, contraintes de temps et de disponibilité, qui font que la participation aux réunions de concertation demanderait un effort important de leur part.

Pour les personnes qui travaillent de jour, les réunions sont souvent trop tôt : une assistante maternelle, par exemple, explique qu'elle doit garder les enfants trop tard le soir pour pouvoir ensuite se rendre à l'endroit convenu. A l'inverse, pour les personnes âgées et les mères qui vivent seules avec leurs enfants, les réunions sont trop tard, les premières expliquant qu'elles n'aiment pas sortir le soir, les secondes qu'elles auraient des difficultés à faire garder leurs enfants. Des contraintes spatiales sont également avancées : une personne âgée, qui ne conduit pas, affirme qu'elle se serait volontiers déplacée si quelqu'un avait pu l'emmener (à Garches, les réunions se déroulaient à l'agence des Hauts-de-Seine, à Boulogne, tandis qu'à Gennevilliers, elles avaient lieu dans une école du quartier).

Un habitant rappelle que le rythme de vie des habitants est souvent soutenu : il évoque la fatigue de certaines personnes et le peu de temps dont elles disposent pour s'investir dans toute activité supplémentaire :

‘«Il y a des gens, ils reviennent à 8h, 8h30 ; j'avais des collègues, ils avaient deux heures de transport le soir, comment vous voulez après aller à une réunion à 9h, de copropriétaires ou de locataires ? On est fatigué.» (n°8, Garches, couple).’

Un autre exemple d'un tel mode de vie consiste à habiter une partie de l'année dans une résidence secondaire à la campagne, comme cette habitante qui n'utilise son appartement de Gennevilliers que lorsqu'elle souhaite voir ses enfants qui vivent à Paris :

« Les réunions, je n'ai pas bien le temps d'y aller, parce que je partage mon temps entre la campagne et ici. » (n°6, Gennevilliers, femme).’

Dans ce cas, non seulement les locataires disposent d'un temps bien moindre à consacrer à la participation, mais étant éloignés pendant de longues périodes, les travaux ont moins d'impact sur leur usage journalier et ils se sentent moins concernés par la réhabilitation.

D'autres habitants expliquent plus directement qu'ils ont préféré accorder leur temps et leur attention à d'autres activités, comme cette locataire qui a pourtant une certaine habitude de l'organisation d'une mobilisation collective :

« Moi, je m'occupais à l'époque d'activité syndicale dans mon travail, donc ça suffisait largement, je n'avais pas envie de me mettre partout ! » (n°3, Garches, femme).’

Dans ces cas, la décision de ne pas participer est davantage présentée comme une action réfléchie et choisie, qui relève d'une préférence ou de la définition d'autres priorités. Il s'agit encore d'une contrainte de temps et d'énergie, mais présentée de telle façon dans les discours qu'elle apparaisse moins subie que délibérément choisie.

Enfin, pour une personne âgée, c'est la gêne de la fumée de cigarette qui est la première raison avancée pour justifier l'absence de participation aux réunions :

« Moi je suis allergique, et ça fume là dedans comme des sapeurs, alors moi je tousse, je n'entends rien et en plus je gêne tout le monde. (…) Inutile de vous dire, ça fume, ça fume là dedans... Moi, je ne comprends pas ça, parce que quand on est en réunion, il ne faut pas fumer, embêter les gens. » (n°13, Gennevilliers, couple).’

La fumée de cigarette semble dans ce cas symbolique des difficultés de travailler ensemble pour parvenir à un résultat commun : certaines personnes sont ainsi dissuadées de participer car elles observent des désaccords sur la façon de se comporter en groupe. Ces difficultés apparaissent également chez des personnes qui se déclarent trop timides pour prendre la parole devant un public peu connu ou imposant et préfèrent adopter un comportement beaucoup plus discret.

Les habitants expliquent ainsi qu'il leur est matériellement difficile de participer à la négociation avec le maître d'ouvrage. Ils rencontrent en effet des difficultés pour dégager du temps et de l'énergie dans des modes de vie qui tendent à les absorber, et pour trouver leur place au sein du groupe d'habitants, ce qui demande de savoir prendre la parole et défendre ses arguments face à un groupe de personnes. Les habitants se heurtent ainsi à des obstacles importants pour participer à la concertation organisée. Pour les inciter à accomplir l'effort nécessaire pour les surmonter, leur motivation importante ; or leurs préoccupations concernent bien plus l'espace domestique que l'espace collectif.