VII.1.3.2.Privilégier l'espace domestique

Les différents professionnels des organismes HLM considèrent que les habitants sont très individualistes, dans le sens où ceux-ci tendent à restreindre leurs préoccupations et leurs actions à leur seul intérêt personnel. S'il est évident que les personnes prêtes à se mobiliser pour une cause sont celles qui se sentent le plus concernées par elle, leur comportement peut ensuite évoluer de telle sorte qu'un intérêt collectif se dégage à partir des premiers engagements individuels. Ainsi, si les locataires décident de participer à la concertation tout d'abord pour défendre leur espace personnel, ils peuvent ensuite être amenés à jouer un rôle pour organiser une amélioration collective de l'espace. Mais selon les professionnels, la très grande majorité des habitants qui s'investissent dans les processus de concertation ne dépassent pas cette première étape, ne cherchant pas à développer une approche collective de la réhabilitation :

Ces propos sont confirmés par les habitants eux-mêmes. Un locataire de la résidence des Châtaigniers explique ainsi qu'il a décidé de participer à la concertation bien qu'il soit généralement très discret et réservé car il redoutait une atteinte à son intimité. Cette peur d'une dégradation de son appartement était extrêmement vive et transparaît notamment à la fin de l'entretien où, étant alors plus en confiance, il insiste étrangement sur les termes : «J'ai craint, j'ai craint pour mon intimité». Cette crainte, supérieure à celle du regard et du jugement d'autrui, a été suffisamment forte pour l'inciter à agir. Mais sa motivation a trouvé ses limites dans la recherche de solutions rassurantes quant à cette crainte première et s'est révélée insuffisante pour porter sur l'ensemble de l'espace collectif.

Une autre locataire explique de la même façon, mais cette fois à Gennevilliers, pourquoi elle a souhaité participer à la concertation, alors qu'elle n'avait jamais pris part à aucune forme de vie associative auparavant :

Dans cette citation, les termes employés sont très révélateurs des représentations de la concertation de cette locataire. L'utilisation du terme «démolir» tout d'abord montre bien que la décision de participer est liée à la peur d'une dégradation exercée par l'organisme HLM dans les appartements. La répétition du mot «savoir» est à opposer à l'idée de négociation : tant que les travaux ne risquaient pas d'endommager leur espace domestique, les habitants pouvaient se contenter de se renseigner seulement, en suivant l'évolution du projet, mais sans souhaiter a priori intervenir pour obtenir des travaux souhaités. Enfin, cette motivation personnelle, visant à défendre les aménagements réalisés dans l'appartement (installation d'une cuisine aménagée ou réfection d'une salle de bain), est présentée comme étant le comportement de tous les locataires participant aux réunions.

Ainsi, excepté une personne à Garches et trois ménages déjà impliqués dans la vie associative du quartier à Gennevilliers, les locataires qui ont participé aux concertations organisées par les bailleurs n'ont agi qu'en suivant des motivations liées à la défense de leur espace privé, craignant que les travaux ne viennent perturber l'intimité qu'ils étaient parvenus à construire. Ces personnes n'ont donc pu jouer de rôle de relais entre le groupe d'habitants et les organismes HLM, en jetant l'amorce d'une négociation collective, qui aurait ensuite pu se développer en devenant de plus en plus présente dans les représentations de l'ensemble des habitants. Aucune forme de mobilisation collective ne s'est mise en place, en raison de l'absence d'un consensus général sur les préoccupations, les objectifs, les moyens dont disposait le groupe et les actions à mettre en œuvre.