VII.2.1.2.Un portrait très rarement mentionné par les professionnels et les habitants.

Mais si les élus et les dirigeants de l'office cherchent à faire des portraits des symboles identitaires, notamment par le biais des cérémonies d'inauguration, les professionnels de l'organisme HLM rencontrés n'ont pas la même attitude. Le portrait n'a pour eux guère d'importance, puisqu'ils ne l'évoquent pas lorsqu'ils sont amenés à décrire la réhabilitation. Seule la gardienne de l'immeuble mentionne la réalisation du portrait de Paul Eluard, lorsqu'elle évoque la nouvelle apparence du bâtiment après travaux :

‘«C'était comment [avant la réhabilitation ]? J'ai du mal à imaginer… – C'était... Je ne sais même plus. Il n'y avait rien, c'était nu, c'était le béton, le béton sur le béton, tandis que là, il y a de la couleur, ils ont fait de la couleur, chaque bâtiment a sa couleur. Et puis on a mis, il y a eu des portraits de faits sur chaque bâtiment pour bien structurer, Paul Eluard, Sand, Guesde, tout le Fossé. A chaque extrémité de bâtiment, ils nous ont mis... ça définit bien chaque… et puis ces couleurs, parce qu'ils ont fait un petit jeu de couleurs, claires, mais quand vous passez le long de la route, ça tape quand même, par rapport à avant.»’

Dans ces propos, la réhabilitation est présentée comme une transformation importante de l'aspect extérieur des immeubles. Les mots employés pour décrire leur apparence initiale : «rien», «nu», «béton sur béton», évoquent une architecture monotone et grise, sans aucun élément remarquable, ni contraste de couleur, de matière ou de forme. Les bâtiments semblent noyés dans un quartier urbain uniforme et terne, dont le matériau principal (le béton) est généralement associé à une ambiance peu chaleureuse et accueillante. Par opposition, la gardienne décrit le nouvel aspect des immeubles par les mots «ça tape quand même», montrant ainsi d'une part que le changement est particulièrement visible et d'autre part que les bâtiments se remarquent et se distinguent clairement après les travaux. Cette transformation est due à la fois au changement des couleurs et à la réalisation des portraits, qui sont associés dans ces propos de telle sorte que leurs effets soient présentés comme étant similaires.

Pour la gardienne, la présence des portraits permet donc, au même titre que les jeux de couleurs, de marquer l'espace, de faire en sorte que les bâtiments attirent les regards tout en devenant plus lisibles. De même que «chaque bâtiment a sa couleur», les portraits permettent de «bien structurer», ce qui traduit la construction d'une forme d'identité de chacun des bâtiments qui se distinguent les uns des autres. Mais les mots semblent manquer à la gardienne pour développer cette idée et ses phrases restent inachevées : «A chaque extrémité de bâtiment, ils nous ont mis... ça définit bien chaque…». Ces hésitations sur la formulation de cette idée révèlent que cette conception des portraits comme des éléments symboliques identitaires est rarement exprimée, donc peu présente dans les représentations collectives.

Les habitants mentionnent également très rarement la présence des portraits en mosaïques ou les festivités auxquelles leur inauguration a donné lieu. Alors que l'inauguration a été un moment fort de la réhabilitation et que les portraits participent de la modification globale des immeubles, généralement décrite très minutieusement par les habitants, seule une personne évoque ce changement d'une phrase rapide :

‘«Le fait qu'ils aient refait les façades, vous ne trouvez pas ça plus joli ? – Oui, c'est plus joli, avec le PVC, sauf notre dessin à nous, je ne le voyais pas comme ça, Paul Eluard. C'est vrai, ça fait bizarre. » (n°8, Gennevilliers, couple).’

Ainsi, non seulement les habitants ne citent pas spontanément, de façon générale, le portrait effectué, mais le seul locataire qui le mentionne a une approche négative, en se montrant déçu de la réalisation. Cette personne avait développé une image personnelle de Paul Eluard, à laquelle ne correspond pas la réalisation de l'artiste, ce qui rompt le processus identificatoire qui avait pu être initié par l'évocation du seul nom de l'immeuble.

Si la réalisation des portraits révèle la volonté des élus et des responsables de l'office de créer, au travers de la réhabilitation, des éléments de marquage symboliques de l'espace, permettant aux habitants d'associer le groupe qu'ils forment au lieu qu'ils occupent, les locataires tendent à ignorer ces symboles. De façon parallèle à Garches, les transformations réalisées dans le cadre de la réhabilitation ne constituent pas un symbole constructif d'une identité socio-spatiale, même si la majorité des habitants estiment que l'embellissement de la résidence est une réussite.