VII.2.2.1.Un embellissement reconnu et apprécié par les habitants

La très grande majorité des habitants de la résidence des Châtaigniers rencontrés précisent qu'ils sont satisfaits des travaux de réhabilitation notamment parce que l'esthétique des immeubles a été améliorée, alors que cette source de satisfaction n'apparaît quasiment pas dans les propos des locataires de l'immeuble Paul Eluard. La réhabilitation est dans ces cas appréciée parce qu'elle a amélioré l'espace matériel collectif. Les travaux que citent les habitants comme étant les plus importants à leurs yeux concernent les nouvelles décorations des façades, des halls d'entrée, des espaces verts entre les immeubles :

«Donc en conclusion, la réhabilitation, ça vous a plu… – Globalement oui, ça a quand même une autre tête, je ne sais si vous avez vu des photos d'avant, (…) ça a quand même une autre tête que ce que c'était avant ; avant, ça faisait un peu vieillot… » (n°3, Garches, femme).
«Et vous étiez contents qu'ils fassent des travaux ? – Oui, parce que ça améliorait quand même un peu le cadre !» (n°4, Garches, couple).
«Qu'est-ce que ça a surtout changé pour vous la réhabilitation, qu'est-ce que vous avez préféré ? – Ce que ça a changé… déjà des immeubles plus beaux, donc l'esthétique. Au point de vue esthétique, d'abord, ça a apporté beaucoup.» (n°12, Garches, femme).
«Et qu'est-ce que ça a changé surtout pour vous, la réhabilitation ? – (lui) Ca fait un peu plus beau, quand même, c'est plus beau qu'avant, et puis ils ont refait le paysage aussi, le jardin.» (n°2, Garches, couple).
«Qu'est-ce qui vous a le plus plu dans la réhabilitation ? – Dans tout ce qui a été fait ?… Le balcon, ah oui, il est beau notre balcon ! (…) Il est joli le balcon, qu'avant c'était un tas de pierre, enfin, un mur, donc c'était tristounet, en plus, c'est gai, maintenant, on a des plaques, on a tout l'extérieur qui est plus clair, avec le bleu, non, c'est joli, non, non !» (n°5, Garches, femme).

Pour ces habitants, la réhabilitation est avant tout une transformation valorisante du cadre de vie. Les descriptions de l'état initial des immeubles ne sont pas très négatives. Les bâtiments ne sont pas présentés sous un aspect particulièrement laid ou dégradé et les mots employés qui évoquent ces idées restent nuancés : «ça faisait un peu vieillot», «c'était tristounet»… Les travaux ne sont donc pas considérés comme une remise à niveau d'un patrimoine très dégradé, mais bien comme une amélioration d'un cadre de vie vieillissant.

Les descriptions de la transformation subie par les immeubles sont généralement élogieuses. Les habitants apprécient la nouvelle esthétique des façades et l'architecture des balcons, trouvant que le résultat final est «plus beau» ou «plus joli». Dans leurs descriptions, les locataires associent souvent cette nouvelle harmonie visuelle à une ambiance agréable, chaleureuse, par opposition à la tristesse qui se dégageait des anciennes constructions. Les notions d'ordre et de propreté viennent compléter ces descriptions, dans le sens où les immeubles sont considérés comme plus propres alors qu'ils étaient devenus salis et usés par le temps :

« Ah et puis l'aspect extérieur, c'est quand même important, parce que bon, quand on arrive dans la résidence, c'est plus joli de voir les murs propres. C'est plus agréable… Et puis la verdure… » (n°10, Garches, couple).

Les critères esthétiques, l'ambiance agréable et la propreté sont associées dans la description du nouvel espace collectif comme ces notions l'ont été dans les descriptions de l'espace domestique (cf. III.1.1.). Il s'agit des caractéristiques principales permettant aux habitants de s'approprier les lieux, la propreté étant essentielle pour montrer le respect de l'ordre et des normes, favorisant de la sorte l'impression de «se sentir chez soi».

Néanmoins, si ces caractéristiques positives sont exprimées et présentées comme importantes, les mots utilisés pour les décrire restent assez faibles, neutres et généraux. Cette position, d'une appréciation globale positive mais relativement modérée, est la plus courante. Quelques locataires cependant insistent sur leur satisfaction quant à la valorisation de la résidence en employant des mots forts ou en soulignant certains détails, comme ces deux personnes :

« Maintenant, ils nous envient un peu, les gens, de cette magnifique résidence. Elle est belle maintenant, la résidence. Les gens nous envient, les gens qui habitent dans les coins pas encore rénovés, comme toute la ville n'est pas encore rénovée pareil. Les gens sont un peu jaloux. » (n°9, Garches, homme).
« C'est très joli, le soir, quand il y a des couchers de soleil, sur la bande grise, elle devient mauve, c'est vraiment très joli. » Gardiens de la résidence des Châtaigniers.

Le terme «magnifique», la poésie du changement de couleur par le coucher de soleil, la supposition du sentiment d'envie et de jalousie que doivent éprouver les autres habitants sont révélateurs d'une très grande satisfaction quant à la nouvelle apparence des immeubles, exprimée de façon toute personnelle et non conventionnelle. Ainsi, la réhabilitation est globalement considérée comme une réussite esthétique, selon le constat unanime d'un embellissement de la résidence, et les habitants expriment leur appréciation de façon plus ou moins personnalisée par rapport à cette idée générale.

Pour certains habitants, cet embellissement correspond à une valorisation sociale : non seulement la résidence est pour eux plus jolie, mais elle a aussi gagné en prestige, les nouvelles réalisations étant considérées comme représentantes d'une classe sociale supérieure. Cette impression d'une élévation de standing s'exprime notamment par une distinction d'autant plus marquée avec les logements sociaux généralement dévalorisés, et même des logements locatifs en général :

«(lui) Mais c'est ce que disent les gens aussi, les gens qui ont des propriétés, quand ils viennent ici, ils disent que ça ne fait pas HLM. (elle) C'est pour ça qu'on s'y plaît.» (n°4, Garches, couple).
«Vous savez malgré tout, on a énormément de gens qui viennent nous demander si les appartements ne sont pas à acheter ici. » Gardiens de la résidence.

Grâce à la qualité architecturale des réalisations, les habitants peuvent comparer leur résidence à une copropriété et ils justifient ce niveau équivalent par la confusion que font les acheteurs potentiels entre les appartements de la résidence et des appartements à vendre. Ces locataires ont ainsi l'impression de bénéficier de la valorisation qui s'attache au statut de propriétaire, même s'ils ne jouissent pas réellement de ce statut.

Une autre forme d'expression de la valorisation sociale ressentie grâce à l'amélioration réussie de l'allure de la résidence réside dans le choix des termes utilisés pour décrire les nouvelles réalisations :

«Ils nous ont changé les balcons, ça fait smart, ça fait beau, vous avez pu constater ! ça donne un chic à la résidence, c'est certain ! (…) Les balcons, ce n'était pas comme ça, c'était du ciment, c'est vrai que ça a pris un autre caractère, mais dans l'ensemble, les gens de la résidence sont satisfaits. Moi, personnellement, c'est vrai que ça a un autre look, pour parler comme les jeunes.» (n°8, Garches, couple).
« [commentaire de photographies des immeubles avant et après réhabilitation] Quand vous voyez ces façades comme ça, de cette couleur-là, et après, ça n'a plus rien à voir. Il faut avouer que c'est beaucoup plus joli. C'est simple mais classe quand même... » Gardiens de la résidence des Châtaigniers.
« Ça a quand même donné un cachet, ça a donné quelque chose, quand même.» (n°2, Garches, couple).
« L'extérieur, bon, ça donnait un bon coup de cachet». (n°12, Garches, femme).

Les termes «smart», «chic», «caractère», «classe» et «cachet» expriment chacun la même représentation du cadre de vie, qui n'est plus perçu comme étant d'un niveau moyen, mais qui se distingue d'un aspect commun par une certaine forme d'élégance. La nouvelle propreté, la modernité des façades et des halls, le soin apporté à l'entretien des espaces verts, la qualité architecturale des améliorations effectuées constituent pour ces locataires les signes distinctifs d'un habitat d'une classe sociale supérieure.

En jugeant la qualité de cet embellissement résultant de la réhabilitation, les habitants s'approprient l'espace collectif modifié selon le même processus par lequel ils s'approprient les transformations de l'espace domestique en le critiquant au regard de ses qualités fonctionnelles et esthétiques (cf. VI.3.2.). Mais tandis que chaque ménage dresse un bilan très personnel des effets de la réhabilitation dans son espace privé, par rapport à ses propres pratiques d'usage et de décoration, le groupe d'habitants produit, via la communication de voisinage, une image collective valorisée de l'espace matériel commun, par rapport à laquelle chaque individu peut ensuite se positionner. Mais l'embellissement ne devient pas pour autant le symbole d'une nouvelle identité par valorisation sociale, car l'image construite tend à ignorer l'association entre le cadre de vie et ses occupants. Nombre d'habitants sont ainsi convaincus que l'organisme HLM a amélioré l'aspect des bâtiments pour préserver la réputation de la ville de Garches, indépendamment donc de leurs occupants. Les habitants ne développent donc pas de nouveaux comportements d'usage de l'espace collectif, bien qu'ils soient unanimes à en reconnaître l'amélioration.