VII.2.2.2.Un embellissement auquel les habitants ne s'identifient pas.

Si les habitants l'immeuble Paul Eluard considèrent que l'office HLM de Gennevilliers a décidé d'entreprendre la réhabilitation de leurs immeubles d'abord pour mettre aux normes des bâtiments devenus vétustes, les locataires de la résidence des Châtaigniers, sans négliger cette raison, en avancent une autre. Pour eux, le groupe 3F et le maire de Garches souhaitaient avant toute chose améliorer l'apparence des immeubles. Deux personnes expliquent que, selon elles, l'opération de réhabilitation était destinée à préserver la réputation de ce quartier de la commune :

Les expressions utilisées dans ces citations : «une vraie zone», «prestige» sont fortes et leur opposition laisse entendre que la réhabilitation est considérée comme une véritable transformation esthétique, permettant de modifier très profondément l'apparence de la résidence. Pour ces habitants, la municipalité a montré sa volonté d'améliorer l'image du quartier, les travaux n'étant pas entrepris prioritairement pour le confort des locataires, mais bien pour préserver la bonne réputation de la ville. A ce titre, l'opération de réhabilitation est pour ces habitants indissociable de l'embellissement qu'elle a entraîné, qui représentait son premier objectif, alors que cette dimension de la réhabilitation est souvent entièrement absente des discours des habitants de Gennevilliers.

Ces habitants, qui considèrent que l'embellissement et l'ensemble de la réhabilitation ne leur étaient pas destinés, sont amenés à se déclarer insatisfaits, car ils attendaient d'autres travaux d'amélioration du confort et regrettent de n'avoir pas été entendus. L'approche stratégique développée par le groupe 3F, qui vise à obtenir une solution satisfaisante pour tous les locataires sans pour autant répondre finement à leurs attentes, montre ici ses limites (cf.V.3.). Au-delà d'un sentiment d'insatisfaction, un locataire estime que la visite des conseillers municipaux, qui n'ont regardé que les réalisations extérieures et non les installations intérieures qui nécessitaient elles aussi, selon lui, des améliorations, est un affront :

Dans ce cas, l'embellissement de la résidence est constaté et apprécié mais il est considéré comme le résultat d'une démarche visant à satisfaire les habitants de la ville de Garches plus que les locataires des appartements. L'identification aux nouvelles réalisations est de ce fait rendue difficile : cet habitant tend à ne voir dans la nouvelle matérialité de l'espace que le symbole d'une volonté politique d'amélioration esthétique du quartier et non le symbole d'une valorisation sociale réalisée par le groupe d'habitants lui-même. Cette valorisation sociale à laquelle correspondrait l'embellissement est d'autant plus difficile à percevoir et à mener que les locataires de la résidence n'adoptent pas de nouveaux comportements d'usage qui soient perçus collectivement.

Bien que les habitants soient unanimes pour affirmer que leur résidence est beaucoup plus jolie après l'opération de réhabilitation, une seule personne note que cette amélioration a eu un effet sur les comportements des locataires. Elle souligne ainsi que les habitants tentent de participer à l'effort d'embellissement entrepris, en entretenant mieux et en décorant leur balcon, de telle sorte que l'ambiance de la résidence s'en trouve améliorée :

La notion de respect qui apparaît souvent dans cette citation indique que les habitants tendent à modifier leurs comportements pour prendre en compte l'embellissement de la résidence, pour le mettre en valeur et le préserver. La comparaison avec un endroit repoussoir est révélatrice de la valorisation de l'image de l'espace collectif que permet l'adoption de ces nouveaux comportements (cf. III.2.3.). Dans ce cas, c'est à la fois l'espace collectif matériel et l'ensemble de ses occupants qui bénéficient d'une amélioration de leur image, le lien entre l'espace matériel et le groupe étant mis en évidence par les transformations complémentaires réalisées par les habitants dans l'adoption de leurs nouveaux comportements d'usage.

Mais cette description de nouvelles pratiques reste isolée : seule cette locataire en fait état, alors que l'ensemble des autres personnes rencontrées ne constatent rien de similaire. Il s'agit donc d'un simple indice ténu d'une évolution des comportements, qui reste éphémère, de faible ampleur ou peu importante aux yeux des autres locataires pour qu'ils ne la mentionnent pas.

L'appropriation de la résidence par ses habitants par une valorisation de son image, qui érigerait l'embellissement unanimement constaté en un symbole d'une nouvelle identité socio-spatiale, reste ainsi limitée, car les locataires tendent à ne pas se reconnaître dans les transformations matérielles réalisées. Si l'approche développée par le groupe 3F, qui a privilégié les travaux destinés à améliorer l'apparence des immeubles, a entraîné une appropriation peu aboutie par valorisation de l'image de l'espace collectif, l'approche développée par l'office de Gennevilliers, qui a privilégié la communication et la solidarité dans la conduite de l'opération, a entraîné quant à elle une appropriation éphémère de l'espace collectif par une modification momentanée des pratiques relationnelles spatialisées.