VII.3.1.3.Un repas qui crée du lien social

Les membres de l'amicale de locataires, qui organisent le repas, soulignent les effets bénéfiques de cette soirée annuelle sur la sociabilité des habitants, qui tend à devenir selon eux plus étroite, plus chaleureuse et solidaire :

« (elle) Ça a amélioré l'entente des gens, je crois. On a beaucoup plus de liens, oui, on se connaît beaucoup plus. (lui) Lorsqu'on a un problème dans le bâtiment, chacun maintenant prévient l'autre. (…) De toutes façons, ça crée des liens, des gens qui ne se causaient pas, maintenant se causent ; ça permet, quand il y a un problème sur une voiture ou quelque chose comme ça, ils disent : « la voiture est restée allumée » , ou… Alors que dans le temps, les gens passaient, ils voyaient la voiture allumée, ils s'en fichaient. » (n°7, Gennevilliers, couple). ’ ‘ « Le côté familial se retrouvait, en fait c'était presque un immense repas de famille, dans l'esprit. (…) Et au travers de ces repas, j'ai eu des contacts avec des gens que je n'avais jamais eus, qui étaient dans le bloc. Ça, par contre, ça a soudé les gens. » (n°5, Gennevilliers, homme).’

Pour mettre en avant les conséquences positives de leur action, ces personnes parlent de leur propre expérience, en s'incluant dans le rapprochement général évoqué : ils considèrent qu'ils connaissent mieux l'ensemble des habitants et que les repas leur ont permis de nouer personnellement des relations plus étroites avec nombre d'entre eux, comme l'ensemble des participants.

La gardienne de l'immeuble Paul Eluard, habitante elle aussi du bâtiment, qui a participé aux repas, partage cette opinion. De par ses fonctions, elle est amenée à connaître tous les habitants et ne s'inclue donc pas, comme le font les membres de l'amicale, dans le groupe d'habitants ayant profité des repas pour nouer ou resserrer des contacts, mais elle constate une amélioration générale de la sociabilité au sein de l'immeuble et la juge positivement :

« Il y a des rapprochements qui se sont faits entre les locataires. Je trouve que ça a été bien, parce que quand on est dans des grandes structures comme ça,… Hormis moi qui connais tout le monde, les gens ne se côtoient pas beaucoup sinon. Le fait de faire des petites manifestations comme ça, ça a permis aux gens de se rapprocher. Je trouve que c'est bien.»’

Enfin, presque tous les habitants approuvent l'organisation des repas, en considérant que les effets en sont bénéfiques, qu'ils y participent ou non, comme dans ces deux exemples (le premier est celui d'une locataire qui explique passer trop de temps à la campagne pour pouvoir venir aux repas et le second celui d'un couple enthousiaste pour tout type de manifestation de ce genre) :

Les repas permettent d'une part de découvrir des voisins rarement croisés ou même complètement inconnus, en raison de rythmes de vie très différents et/ou de la séparation des entrées qui favorise donc pas les rencontres à l'inverse d'un grand hall d'entrée unique. Les habitants qui résident dans les étages inférieurs et qui n'utilisent pas l'ascenseur considèrent qu'ils ont également plus rarement l'occasion de croiser leurs voisins et d'échanger quelques mots : ils apprécient donc d'avoir l'occasion au cours de ces soirées de découvrir les personnes qui habitent près de chez eux. Ce rassemblement annuel est également une bonne occasion d'intégrer plus facilement et plus rapidement les nouveaux locataires qui ont emménagé depuis peu. Le repas est l'occasion de nouer de nouveaux contacts, mais aussi de transformer des relations à peine ébauchées en des relations plus soutenues. Le stade du «bonjour-bonsoir» est dépassé et au fil des discussions, facilitées par le partage du dîner, les habitants sont amenés à se livrer davantage, en parlant plus d'eux-mêmes. La convivialité qui s'instaure au fil de la soirée incite les locataires à aborder de nouveaux sujets de discussion et à chercher à mieux se connaître les uns les autres. Les attitudes de réserve et de discrétion tendent à diminuer au profit de comportements plus ouverts et tournés sur autrui. Enfin, les habitants apprécient l'atmosphère festive et notamment de pouvoir danser à la fin du repas. Celui-ci est alors considéré également comme un divertissement, un moyen de s'amuser. Cette forme de fin de soirée prolonge de façon plus marquée le processus selon lequel les habitants sortent de leur réserve habituelle.

Le fait de rassembler de la sorte tous les locataires, de leur offrir un cadre convivial et de leur donner l'occasion de parler de façon plus approfondie permet de faire évoluer les pratiques relationnelles des habitants de l'immeuble. Alors qu'il était de rigueur généralement de maintenir une certaine distance avec ses voisins, afin de préserver une intimité personnelle, il devient plus commun de resserrer les relations de voisinage. La réhabilitation a ainsi entraîné un changement des pratiques relationnelles spatialisées, mais ce changement est resté éphémère.