VII.3.2.1.Un repas qui dépend de leaders

Si le repas était présenté au nom de l'amicale, c'est en fait un seul couple, le couple à l'origine de l'idée, président de l'amicale, largement investi dans la vie associative et que nous avons déjà souvent évoqué (n°7, Gennevilliers, couple), qui en assurait presque entièrement l'organisation. La préparation de ce repas nécessite beaucoup de temps et d'énergie, pour réserver la salle, trouver des tables et des chaises et les installer, prévoir une décoration et la mettre en place, recueillir les participations en allant frapper à la porte de tous les appartements, choisir un traiteur et définir les menus, servir les plats lors du repas et nettoyer la vaisselle, installer le matériel de sonorisation et s'occuper de la musique au cours du dîner et des danses, puis tout ranger et nettoyer. Or l'organisation du repas n'était pas le fait de l'amicale ou d'un petit groupe, mais reposait entièrement sur M. et Mme M., comme l'explique un membre de l'amicale :

‘«Tout le monde parle du repas que vous organisiez… – Ça, c'était génial, mais là, je rends à Jules ce qui appartient à César, le repas, il était fait au nom de l'amicale, il plaisait énormément à tout le monde, mais c'était M et Mme M. qui étaient le cœur de ça, c'est-à-dire que dès l'instant qu'ils ont dit : « on le fait pas » , ça s'est arrêté. Je ne veux pas dire qu'ils étaient les seuls à mener le travail, encore que… » (n°5, Gennevilliers, homme).’

Non seulement les membres de l'amicale étaient assez lucides et honnêtes pour reconnaître tout le travail effectué par M. et Mme M., mais les habitants étaient également tout à fait conscients de l'implication du couple dans l'organisation du repas. Même si ces soirées étaient organisées au nom de l'amicale, les habitants n'étaient pas dupes et dans les représentations collectives, les repas étaient exclusivement le fait de ce couple largement connu par ailleurs. La reconnaissance de cette implication était si forte que nombre de locataires peinent à imaginer que ces soirées puissent continuer alors que M. et Mme M. ont déménagé :

  • «Et je crois qu'il y a un repas qui est organisé chaque année ? – Oui, mais je ne sais pas si ça va se faire encore, parce que les gens sont partis. Les gens qui l'organisaient ont déménagé, donc je ne sais pas si quelqu'un d'autre va le faire. » (n°1, Gennevilliers, femme).
  • «Et on m'a dit qu'il y avait un repas de fait, tous les ans ? – C'était avec l'amicale des locataires, mais enfin, comme la personne qui s'en occupait n'est plus là, je ne sais pas si ça va continuer ! » (n°10, Gennevilliers, femme).

Les habitants sont relativement conscients du travail que représente l'organisation des repas, du temps et de l'énergie qu'il faut y consacrer : ils ne sont donc généralement pas prêts à s'investir pour les réaliser, même s'ils apprécient par ailleurs d'y participer, comme l'explique un membre de l'amicale des locataires :

  • «Ils [des habitants] disaient : « le repas, quand est-ce que vous le faites ? » , et je leur disais un peu méchamment : « bah quand vous le réaliserez » . » (n°5, Gennevilliers, homme).

La motivation initiale des organisateurs doit donc être très forte pour qu'ils acceptent de supporter la charge de travail nécessaire à l'organisation du repas et de s'investir pour entraîner les autres habitants à participer. Or cette motivation peut être rare, d'autant plus que les leaders reçoivent peu d'aide de la part des autres locataires. Cette nécessité d'une forte motivation et implication de personnes «moteur» est reconnue par une habitante de Garches, qui l'évoque pour justifier son impression que l'organisation d'un tel repas est impossible à la résidence des Châtaigniers :

‘«Et j'ai fait la même enquête dans un autre immeuble, et les gens faisaient un repas, pour tous se retrouver, je me demandais si ça pourrait se faire ici ? – (…) (lui) Après, il faut des gens qui s'en occupent, parce que c'est vrai, c'est beau, « faites, faites » , mais c'est toujours les mêmes ! (elle) Oui, moi, dans mon travail, je fais du social, vous savez, c'est pas évident ! Parce que le social, les gens sont toujours d'accord, mais quand vous avez envie de faire quelque chose, et que vous avez besoin de gens pour vous aider, vous vous apercevez que vous n'avez pas grand monde. Donc ce n'est pas toujours facile.» (n°2, Garches, couple).’

Organiser de telles manifestations nécessite ainsi une forte motivation initiale, qui peut s'amenuiser si la mobilisation que les soirées devraient entraîner reste faible. Dans ce cas, les leaders ont l'impression que leur travail est peu reconnu et apprécié et perdent de leur envie de consacrer de leur temps et énergie pour un groupe qui l'apprécie peu. Or les formes de fuites des locataires des manifestations collectives sont multiples, les habitants préférant souvent privilégier des comportements plus personnels.