VII.3.3.2.Des normes relationnelles non modifiées.

Quelques locataires estiment, de même que les professionnels, que la réhabilitation offre l'opportunité de rencontrer ses voisins, car le partage des mêmes inquiétudes quant à la réalisation des travaux tend à rapprocher les habitants. Mais ils soulignent chaque fois les limites de ces échanges, qui se réduisent à des visites chez des personnes auparavant connues lorsque les préoccupations concernent l'espace privé et dont la plupart des locataires se détournent lorsque la concertation concerne l'espace collectif :

Ainsi, les habitants de l'immeuble Paul Eluard sont plus enclins à voir dans la réhabilitation un moment d'échanges plus importants, alors qu'aucun locataire de la résidence des Châtaigniers rencontré n'adopte le même discours, mais ils précisent très clairement que les relations entre voisins n'en sont pas pour autant globalement modifiées.

Pour nombre d'habitants de la résidence des Châtaigniers, cette fois, cette question d'une éventuelle modification des relations entre voisins par effet de la réhabilitation semble ne susciter d'un très faible intérêt et ne provoquer aucune association d'idée, les habitants se semblant pas souhaiter développer cette idée :

Enfin, pour la majorité des locataires, cette question suscite en réponse un rappel des normes relationnelles dont le but est de préserver à la fois la politesse et l'intimité et qui tendent de la sorte à limiter les échanges, tout en conservant une certaine courtoisie :

Excepté le couple organisateur des repas à Gennevilliers, très investi dans la vie associative de son quartier, aucun locataire rencontré n'évoque de changement durable de la sociabilité au sein de l'immeuble Paul Eluard ou de la résidence des Châtaigniers, suite à l'opération de réhabilitation. Certains d'entre eux estiment que la phase de travaux a pu susciter une dynamique d'échanges, en incitant les habitants à communiquer sur des problèmes communs, mais que ces contacts se sont généralement limités à des voisins qui se connaissaient déjà. Il ne s'en est pas donc suivi de changement notable de la sociabilité.

Seul le repas organisé à Gennevilliers, lancé grâce à l'élan impulsé par la réhabilitation et les contacts qu'elle a suscités, a entraîné une modification des pratiques relationnelles spatialisées, la sociabilité de voisinage au sein de l'immeuble tendant à devenir plus étroite. Ce repas a permis de développer parmi les locataires de l'immeuble l'idée que leur proximité spatiale était une source de rapprochement social : le fait d'être voisin devait entraîner une solidarité plus forte et affermir la cohésion du groupe d'habitants. Ces nouveaux comportements relevaient de l'appropriation : l'espace collectif devenait le support d'un groupe plus uni et l'identité socio-spatiale en était plus claire et lisible. Mais cette évolution ne s'est pas confirmée, les changements sont restés éphémères et la norme du «bonjour-bonsoir» a de nouveau prévalu. La réhabilitation n'a donc entraîné que des effets faibles et éphémères sur les comportements d'appropriation de l'espace collectif consistant en des pratiques relationnelles spatialisées.

Avant la réhabilitation, les comportements d'appropriation de l'espace collectif développés par les habitants consistaient essentiellement en une identification de cet espace et en l'institution de la norme relationnelle du «bonjour-bonsoir». L'immeuble Paul Eluard et la résidence des Châtaigniers faisaient ainsi l'objet d'images valorisées associant l'espace collectif matériel et le groupe d'habitants qui l'occupe, sans créer pour autant d'identité socio-spatiale bien établie.

Cette seule identification n'a pas conduit les habitants à se mobiliser pour intervenir directement et collectivement dans le choix des travaux à réaliser dans l'espace commun. Malgré la participation d'une très grande majorité des habitants aux votes organisés par les organismes HLM, malgré la participation de quelques locataires aux réunions de concertation, les habitants ne considèrent pas qu'ils ont pu être une force de proposition et de négociation avec les organismes. Alors que les personnes interrogées tiennent spontanément à indiquer qu'elles sont intervenues sur la réalisation des travaux dans leur appartement, elles tendent à passer sous silence la phase de concertation collective ou à minimiser ses résultats. Les habitants ne se considèrent pas comme les auteurs ou les responsables des travaux, les transformations réalisées restant essentiellement le fait des professionnels. La réhabilitation n'engendre que très peu de comportements d'appropriation consistant à intervenir directement dans la transformation de l'espace matériel pour y imprimer ses marques.

Les transformations réalisées par les organismes ne sont pas non plus considérées comme des symboles d'une nouvelle identité socio-spatiale par les habitants. Le portrait de Paul Eluard en mosaïque sur un mur de l'immeuble, inauguré lors d'une fête à la fin de la réhabilitation, n'est quasiment jamais mentionné par les locataires, qui ne lui trouvent donc aucun pouvoir évocateur. L'embellissement de la résidence des Châtaigniers, remarqué et souligné dans les entretiens, est davantage considéré comme une réponse au souhait de la municipalité de préserver la réputation du quartier que comme une valorisation sociale du groupe d'habitants. Les locataires n'indiquent pas, de façon générale, qu'ils aient modifié ou remarqué un changement global des gestes familiers, tels qu'un plus grand effort pour respecter la propreté des lieux ou pour décorer les balcons, en raison de cet embellissement. Les transformations matérielles réalisées n'entraînent pas de comportements d'appropriation sous la forme d'une adaptation des pratiques d'usage.

Enfin, la réhabilitation peut être un moment privilégié pour que les relations entre voisins deviennent plus nombreuses et chaleureuses, car les habitants partagent alors des préoccupations communes sur leur espace collectif. A Gennevilliers, les habitudes de concertation développées par la municipalité et l'office ainsi que la valorisation de la solidarité et de la convivialité dans la communication envers les habitants est un facteur favorable à l'émergence de tels comportements relationnels. Les locataires les plus mobilisés ont profité de cette situation favorable pour organiser des repas annuels rassemblant tous les habitants de l'immeuble, qui ont permis qu'une nouvelle sociabilité commence à se développer. Mais cet effet est resté éphémère et la norme du «bonjour-bonsoir» s'est finalement à nouveau appliquée comme avant la réhabilitation : l'opération n'a pas engendré de modification des comportements d'appropriation par l'institution de nouvelles normes relationnelles spatialisées.

L'identité socio-spatiale peu affirmée de l'immeuble Paul Eluard et de la résidence des Châtaigniers fait que les habitants partagent peu de représentations consensuelles sur le groupe qu'ils forment, sur les transformations de l'espace matériel collectif qu'ils souhaitent et sur la stratégie à mettre en œuvre pour les obtenir. Le déroulement de la réhabilitation est de ce fait peu influencé par les comportements d'appropriation développés avant l'opération, les locataires considérant que les organismes HLM sont seuls responsables des travaux réalisés dans les parties communes. Parce que les habitants ne considèrent pas avoir participé collectivement aux choix des travaux, ils tendent à ne pas se reconnaître dans les nouvelles réalisations. Réciproquement, la réhabilitation influe peu sur les comportements d'appropriation qui n'évoluent pas en faveur d'une affirmation plus forte de l'identité socio-spatiale du lieu de vie.