Un objet de savoir

S’adressant à des personnes marginalisées, voire exclues du monde commun, les pratiques professionnelles du champ du handicap sont peu connues. Des discours généreux, en direction du grand public, mettent en valeur l’esprit de dévouement, voire de sacrifice, des éducateurs ou des soignants, sans mentionner leur formation, signaler leurs techniques, repérer leurs compétences. En ce qui concerne l’école, si on évoque parfois les parcours d’intégration scolaire, c’est en omettant systématiquement de rappeler quelles procédures ont écarté les élèves du modèle commun et d’évoquer les pratiques d’enseignement en établissement spécialisé.

Ces pratiques ne font l’objet de publications dans les revues spécialisées que depuis une quinzaine d’années. Alors que professeurs ou éducateurs enseignent en établissement médico-éducatif depuis au moins un demi siècle, la première thèse étudiant leur activité ne date que de 1997 6 et le premier ouvrage entièrement consacré au sujet, de 1999 7 . Ainsi, les pratiques des enseignants en établissement médico-éducatif constituent difficilement un objet de discours et de savoir.

Ces rares écrits privilégient le plus souvent une approche clinique de l’enseignement en établissement médico-éducatif. Dans cette perspective, la difficulté de l’enseignant à exercer sa compétence est fréquemment présentée comme le symptôme de sa difficulté personnelle à établir une relation équilibrée avec son élève. On décrit alors le professionnel en état de manque : de repère professionnel, d’identité, d’efficacité, de compétence. Les auteurs dressent des tableaux cliniques d’enseignants angoissés et d’institutions malades. Certes, nous avons pu entendre dans ces textes l’écho de nos ressentis d’expériences de classe ou de réunion. En ce sens, ces études, en nous permettant de « désingulariser » et de modéliser nos réactions affectives à notre travail, nous furent précieuses. Mais nous avons regretté que les pratiques des enseignants en établissement médico-éducatif n’y soient considérées que comme des versions déficitaires des pratiques ordinaires, qui ne nécessitent donc pas qu’on s’arrête sur leurs procédures de mises en œuvre ou sur les situations où elles se déploient.

La motivation de cette recherche est au contraire d’établir la spécificité des pratiques enseignantes en établissement médico-éducatif. Dans ce but, nous portons une attention toute particulière à ce qui constitue un aspect très spécifique de l’activité de ces établissements : les rencontres interprofessionnelles. Nous supposons que cette particularité permet de constituer les pratiques des enseignants en établissement médico-éducatif en objet spécifique d’expérience, de savoir et de recherche.

Notes
6.

SIMON (Marie-Agnès), La position enseignante dans les IMPro, Thèse de doctorat, sous la direction de Jean-Sébastien Morvan, Dépt de Sciences de l'Education, Université René Descartes, Paris, 1997

7.

SIMON (Marie Agnès), Enseigner à des élèves à la pensée troublée. analyse clinique de la relation d'enseignement, Toulouse, ERES, 1999