2.1.1. Les Etablissements

L'enseignement spécial regroupe sous une même appellation quatre types d'établissements dépendant d'administrations différentes : sous l'égide du ministère de l'Education Nationale, les classes d'enseignement spécial (CLIS, SEGPA) et les classes spécialisées d'établissement spécialisé (EREA) ; sous le contrôle de l'administration de la Santé, les établissements médicaux : établissements hospitaliers, maisons d'enfants à caractère sanitaire, hôpitaux de jour...) ; dépendant des Affaires Sociales, les établissements socio-éducatifs (foyers d'aide sociale, maison d'enfants à caractère social... ) ; et enfin, ceux qui nous intéressent dans cette recherche, les établissements médico-éducatifs : parmi eux, les instituts médico-pédagogiques (IMP), accueillant les enfants (6/14 ans, parfois à partir de trois ans) atteints de déficience intellectuelle, les instituts médico-professionnels (IMPro), accueillant les adolescents (14/20 ans ou plus) atteints de déficience intellectuelle, les instituts de rééducation (IR), accueillant des enfants et adolescents 102 souffrant de troubles de la conduite et du comportement (TCC).

On constate une certaine confusion, compte-tenu de la profusion et de l'ambiguïté des appellations et des sigles désignant ces établissements. Eclaircissons quelques usages du secteur : si la plupart du temps le I de IMP ou IMPro signifie "institut", certains l'emploient comme abréviation d'internat pour opposer par exemple un IMP à un EMP (externat médico-pédagogique) : la généralisation de services de semi-internat dans les anciens internats limite aujourd'hui cette confusion ; le sigle IME (pour institut médico-éducatif) est employé pour désigner un établissement à la fois IMP et IMPro, c'est-à-dire accueillant des élèves de trois à vingt ans ; parfois, l'appellation IES, institut d'éducation spécialisé, est employée pour désigner un établissement agréé à la fois comme IMP (ou IMPro, ou IME) et comme IR : ce sigle risque d'entraîner des confusions avec les instituts d'éducation sensorielle, recevant les enfants et les adolescents malentendants ou malvoyants. Pour notre part, nous utilisons dans cette recherche le terme d'Etablissement Médico-Educatif (EME) pour désigner l'ensemble des établissements agréés au titre de l'annexe XXIV du code de la Sécurité Sociale (décret N° 89-789, du 27 octobre 1989) pour l'accueil des enfants ou adolescents présentant une déficience intellectuelle ou des troubles du comportement : instituts médico-pédagogiques, instituts médico-professionnels, instituts de rééducation.

Nous avons vu plus haut que cette forme d'établissement est due à l'initiative des pédopsychiatres, relayée par le gouvernement de Vichy, dans une configuration très innovante : financés par l'Assurance Maladie selon les modalités de "prix de journée", gérés par des associations privées type 1901 (associations de parents d'enfants handicapés pour la grande majorité, regroupées pour certaines dans des associations départementales -ADAPEI- fédérées dans l'UNAPEI; ou associations plus caritatives ou militantes - souvent les deux alternativement- rassemblant les notables d'une région ou les représentants de l'Education nationale ou de la Santé), contrôlés par la puissance publique (les admissions ne peuvent se faire que sur décision de CDES, la gestion du personnel est très encadrée par l'Etat par le biais de conventions collectives, les budgets sont négociés annuellement avec les directions locales des Affaires Sociales...).

Ces établissements gardent de cette naissance exceptionnelle une marque identitaire : une direction bicéphale avec, d'un côté, un directeur administratif et pédagogique (le plus souvent un ancien éducateur, parfois un enseignant) et, de l'autre, un psychiatre, garant de la qualité des soins et seul prescripteur pour chaque enfant ou adolescent accueilli de la prise en charge institutionnelle. Parfois, la présence d'un directeur pédagogique (plutôt un adjoint de direction hiérarchiquement parlant) agréé, payé et même éventuellement nommé par l'Education nationale, accroît encore un peu la complexité institutionnelle. C'est là une spécificité que ne partagent ni les établissements d'enseignement spécial dépendant de l'Education nationale, où la direction pédagogique s'exerce sans contre-pouvoir institutionnalisé 103 , ni les hôpitaux de jour où les prises en charge éducatives ou pédagogiques s'exercent sous l'autorité réglementaire du psychiatre. Cette caractéristique essentielle de ces établissements permet à notre avis de leur supposer ainsi qu'aux pratiques qui s'y développent une singularité d'objet de recherche.

C'est pourquoi nous nous étonnons que la récente recherche de Marie-Agnès Simon présente les IMPro comme un lieu d'étude au seul "croisement de deux champs, l'Education nationale et la Santé" 104 , ou que l'article de Philippe Mazereau sur ses pratiques d'enseignement en IME s'intitule "Penser l'école dans une institution thérapeutique" 105 , privilégiant ainsi la référence médicale au détriment de la "troisième voix", le champ des pratiques éducatives de socialisation, champ de la compétence de l'éducateur spécialisé, cheville ouvrière de ces établissements.

Notes
102.

Certains IR, accueillant exclusivement des adolescents, se font dénommer IRPro, sans que l'on sache très bien ce que pourrait signifier une "rééducation professionnelle".

103.

Dans certains établissements, le directeur, un enseignant nommé par les instances académiques, a sous sa responsabilité par exemple des éducateurs, payés par l'association gestionnaire et dont l'exercice professionnel est organisé par des conventions collectives n'ayant jamais été visées par l'Administration de l'Education nationale.

104.

SIMON (Marie-Agnès), Enseigner aux élèves à la pensée troublée, op. cit., p. 21

105.

MAZEREAU (Philippe), Un itinéraire pédagogique. Penser l'école dans une institution thérapeutique, op. cit.p. 29