2.2.1. Des données incomplètes

Mais, indique l'Observatoire de l'Enfance en France, "l'appréciation statistique de la scolarité des jeunes handicapés est rendue très difficile, voire impossible pour de multiples raisons, à commencer par l'absence d'évaluation du nombre de jeunes handicapés. La difficulté ne tient pas au manque de données, il en existe en réalité beaucoup, mais à la diversité des sources et au caractère parcellaire des informations recueillies, qui tantôt corroborent, mais le plus souvent divergent. L'image (...) du puzzle dont on aurait une quantité de morceaux sans être sûr qu'il n'en manque aucun ni que tous lui appartiennent rend bien compte de la situation. (...) Les données disponibles sur la scolarité des jeunes handicapés sont à la fois partielles et inexactes." 113

Essayer de saisir dans le détail, par les données statistiques, les conditions d'enseignement dans les EME tient alors de la gageure. Tentons seulement de repérer à travers les études les plus complètes disponibles sur le sujet, 114 ce que l'on peut saisir de plus signifiant qui nous permettrait d'orienter notre regard vers les éléments essentiels.

La première donnée que nous tenterons d'isoler concerne le nombre d'enfants accueillis dans ce que nous avons convenu de nommer EME (IMP, IMPro, IR). Une donnée récente (1996/97) 115 est fournie par l'Observatoire de L'Enfance, dont nous reproduisons le tableau intitulé : "Répartition des handicapés selon les établissements" 116

Tableau n° 1-01 Répartition des enfants et adolescents en situation de handicap
  Etablissements pour Instituts de rééducation Etablissements pour
Total
  Déficients intellectuels Poly-handicapés   déficients moteurs déficients visuels déficients auditifs sourds- aveugles  
Effectifs 72 559 2 515 15 068 7 583 2 337 6 593 1 454 108 109
% 67.1 2.3 13.9 7.0 2.2 6.1 1.3 100

Si l'on accepte de négliger les quelques établissements à double agrément (IMP+IR), ces données apparaissent très claires : le nombre de jeunes handicapés accueillis en EME serait de 87 627 et représenterait plus de 81% d'une population totale de 108109 jeunes handicapés accueillis dans le secteur. Mais justement, ce total fait problème : un autre tableau, quinze pages avant, précisait que le nombre total de jeunes accueillis dans les établissements spécialisés est de 103 143 en 1996/97 (source Ministère de l'Education Nationale). L'écart est de près de cinq mille individus (4.8 % ).

Cependant, tout le monde semble admettre qu'il s'agit essentiellement de garçons (60% en IME, 77% en IR). 117

Tenter d'en savoir plus sur les conditions d'enseignement proposées s'avère très difficile. Tout d'abord, on peut s'étonner que les conditions de non-scolarisation des enfants et adolescents accueillis en EME ne soient pas plus explicitement détaillées : ici, la scolarisation est confondue avec les activités assurées par les enseignants sous contrat avec l'Education nationale. Aucun autre enseignement n'est pris en compte. Or les pratiques dans les établissements sont beaucoup plus complexes que cela. Si nous avons déjà évoqué le cas d'une éducatrice chargée de classe, nous pourrions développer les stratégies, nombreuses, tissées entre éducateurs et instituteurs dans les IME pour conduire peu à peu à l'école des enfants en très grande difficulté : stratégies d'accompagnement progressif où une institutrice est amenée à prendre durablement en charge l'enfant dans le lieu de vie du groupe, où une éducatrice peut s'occuper seule et régulièrement de l'enfant à l'école... Nous avons visité un IMP dont les locaux scolaires, à savoir deux classes, étaient situés à près d'une centaine de mètres des autres lieux d'activités : l'école apparaissait ainsi comme un lieu à part et était très valorisée par l'ensemble de l'équipe qui accueillait des enfants en très grande difficulté. A peine un quart des enfants fréquentaient quotidiennement cette école, les autres étant pris en charge par des éducateurs spécialisés, désignés par l'établissement comme des "enseignants" (alors que les enseignants de l'école étaient dénommés "instituteurs"). Des tâches précises de préparation des enfants aux activités de l'école étaient confiées à ces éducateurs : maîtrise de la langue orale, développement de la motricité, mais aussi début d'apprentissage de la lecture ou de la numération... Et dès qu'un enfant parvenait à un niveau de performance correspondant à celui d'une des classes de l'école (fin cycle 1 ou début cycle 2), un contrat d'intégration, le plus souvent très partiel (de quelques dizaines de minutes à une journée maximum) lui était proposé afin qu'il valorise à l'école sa nouvelle compétence. Dans cet IME, chaque enfant est ainsi considéré comme un élève, dès qu'il a pu faire valider une compétence scolaire par un contrat d'intégration. Si nous avons pu constater que la plupart s'inscrivaient, par cette pratique pédagogique menée conjointement par les enseignants, instituteurs ou éducateurs, dans une dynamique d'acquisitions scolaires, les statistiques, elles, ne font mention en ce cas que de 25% d'enfants scolarisés.

Il est, également, particulièrement difficile d'apprécier, avec de tels critères, les conditions de scolarisation des adolescents en IR ou IMPro qui investissent un apprentissage professionnel : faut-il considérer qu'ils ne sont scolarisés que si leur formation professionnelle est assurée par un professeur ? Il n'y a pratiquement pas de professeur dans les ateliers des IMPro ou des IR...

Dans de telles statistiques apparaissent des clivages en rupture avec les réglementations officielles, qui incitent à la collaboration interprofessionnelle : "la prise en charge s'adresse à l'enfant dans son unité et dans l'ensemble de ses besoins à l'égard des apprentissages cognitifs et de vie sociale, de sa dynamique personnelle et de sa vie de relation. (...) Les clivages professionnels doivent préserver le caractère d'ensemble de l'action éducative" 118

Quoi qu'il en soit, que disent les chiffres ? Il nous est difficile de tenir compte de toutes les statistiques décrivant le niveau moyen des enseignements du premier et du second degré, dans le secteur médico-éducatif sans considérer la nature du handicap des élèves. Ainsi, l'étude INSERM-CTNERHI indique qu'en 1992/93, 61,9% des élèves des établissements du secteur médico-éducatif possèdent un niveau scolaire "1er degré" 119 . Si on ne peut pas la ventiler entre les différentes formes de handicap et entre les types d'établissement d'accueil, cette donnée n'a que très peu d'utilité. En comparaison, à quoi pourrait servir de connaître la valeur d'une performance moyenne de tous les jeunes handicapés au 100 m, abstraction faite de la nature du handicap, intellectuel, sensoriel ou moteur ?

Notes
113.

Observatoire de l'Enfance en France, L'enfance handicapée en France, Paris, Hachette, 1999, pp. 79-81

114.

RAVAUD (Jean-François), La scolarisation des enfants handicapés, in TRIOMPHE (Annie) (dir.), Les personnes handicapées en France, données sociales 1995,Paris, INSERM-CTNERHI, 1995, pp. 81 à 126

115.

L'Observatoire de l'Enfance a pu avoir accès aux données encore confidentielles de l'enquête SESI 1996/97

116.

Observatoire de l'Enfance en France, Op. Cit., p. 105

117.

Idem

118.

Circulaire du 30/10/89, titre VI: Assurer la cohérence de la prise en charge, B.O. n°45, 14 Décembre 1989

119.

RAVAUD (Jean-François), op. cit., p. 121