2.2.2. Ecarts et contrastes

Au delà de nos réserves sur l'estimation globale des jeunes accueillis en IME et IR, un tableau 120 issu des données récentes de l'enquête SESI semble intéressant :

Tableau n° 1-02 Taux de Scolarisation des élèves accueillis en EME

Type d'établissement
Scolarisation Voie de scolarisation
  Scolarisé Non-
scolarisé
Sans
intégration
intégration partielle intégration
totale
Déficients Intellectuels 68,3 31,7 91,7 4,3 4,0
Instituts de Rééducation 96,1 3,9 77.6 2.2 20.2
Total secteur 73.6 26.4 84.8 4.9 10.4

Nous pouvons constater l'écart important entre les taux de scolarisation des jeunes accueillis en IME (désignés dans le tableau comme "déficients intellectuels") et ceux accueillis en IR : un jeune a près de 50% de chances de plus d'être scolarisé s'il est en IR plutôt qu'en IME. Autrement dit, au regard des critères de scolarisation retenus, un élève a d'autant plus de "chances" de bénéficier de l'enseignement d'un enseignant de l'Education nationale qu'il est peu déficient intellectuel.

A titre d'information, signalons que, selon de telles statistiques, seulement 8% des jeunes polyhandicapés sont dits scolarisés. Or, quotidiennement, des moniteurs éducateurs, des éducateurs spécialisés ou des ergothérapeutes, qui participent à la prise en charge des polyhandicapés, déploient des trésors de pédagogie pour faire, de ces enfants ou adolescents atteints de déficiences lourdes et multiples, des élèves curieux de découvrir le monde, capables de formuler des demandes d'apprentissage, de se réjouir de leurs acquisitions, de peiner sous l'effort de penser... Vraisemblablement, un instituteur ou un professeur d'école ne s'y prendrait pas autrement, ne réusssirait pas autre chose, avec ces élèves polyhandicapés. Pourquoi alors cliver ces pratiques pédagogiques en n'accordant d'existence statistique qu'aux unes, relégant les autres dans l'ombre de la "non-scolarisation" ?

Continuons à parcourir ce tableau. Seulement 7.65% des jeunes accueillis dans le secteur médico-éducatif sont intégrés à temps plein, et non 10.4% comme pourrait le laisser penser une lecture rapide : en effet, il s'agit de 10.4% des 73.6% de "scolarisés". De la même façon, seuls 21,5% des jeunes accueillis en IR et 5.7 % de ceux des IME sont intégrés à temps plein ou partiel, ce qui laisse à penser que l'intégration scolaire qui donne son nom à l'ensemble de la filière de l'Education nationale est un horizon encore bien lointain pour la plupart d'entre eux. On peut également s'étonner du commentaire de ce tableau par l'Observatoire de l'Enfance en France, fondé par la Fédération Générale des Pupilles de l'Enseignement Public et la Mutuelle Générale de l'Education Nationale : "la nature et le degré du handicap, peut-on lire, ont bien évidemment une influence sur les possibilités de scolarisation". 121

Quelle est cette évidence ? L'article 5 de la Loi de 75 précise bien, sans restriction, que "l'Etat prend en charge les dépenses d'enseignement et de première formation professionnelle des enfants et adolescents handicapés." Cherche-t-on à faire admettre, à l'encontre de l'esprit comme de la lettre de tous les textes réglementaires depuis près d'un quart de siècle, qu'il est évident qu'il y a deux formes d'enseignement, un enseignement scolaire assuré par les instituteurs et les professeurs qui sera pris en compte officiellement et un autre, destiné aux enfants et adolescents handicapés non-scolaires, c'est à dire les élèves en situation de handicap plus sévère, laissé à du personnel "non scolaire", c'est-à-dire des éducateurs.

Encore une fois, les pratiques d'enseignement en EME semblent tenues dans l'ombre : l'intégration pour tous, initiée dans l'esprit par la loi de 1975, est peu à peu devenue une intégration des meilleurs, c'est à dire simplement une réorientation des moins handicapés : de 1982/83 à 1992/93 122 , le nombre d'élèves atteints de déficience intellectuelle bénéficiant de mesures d'intégration individuelle diminue de moitié (49,35% exactement 123 ). Il semblerait que plus on parle d'intégration pour tous, moins on la réalise pour les enfants dits déficients intellectuels, générant ainsi un silence gêné, une opacité coupable sur l'existence d'autres formes nombreuses de scolarisation, reléguées dans ces vastes instituts au seuil du monde commun. Ces pratiques dévalorisées sont désertées par les plus qualifiés : il n'y a pas de professeurs d'enseignement technique dans les IMPro ; désinvesties par les enseignants de l'école de tous : 5.7% seulement des élèves des IME bénéficient de mesures d'intégration, même partielle ; ignorées par l'administration : les élèves bénéficiant d'un enseignement hors-Education nationale sont dits non-scolarisés. Il n'est pas étonnant dans ces conditions que les experts constatent, dans ces établissements, des pratiques en écart avec la norme en vigueur et regrettent leur efficacité limitée.

Notes
120.

Observatoire de l'Enfance en France, op. cit., p. 93

121.

Ibid., p. 92

122.

Au delà, nous ne disposons plus de données.

123.

RAVAUD (Jean-François), op. cit, p.97

Il s'agit d'intégration à temps plein ou partiel. Or, le rapport IGAS-IGEN note que dans le même temps le temps d'intégration scolaire dont bénéficient les élèves intégrés partiellement semble diminuer. op. cit., p.42