3.2.5. Au-delà des pôles de cohérence

Les "pôles de cohérence" que nous venons de repérer ne sont pas encore des outils de vérité, de justice et d'efficacité. Pour développer, grâce à eux, une recherche d'inspiration sociologique, nous devons préciser ce qu'ils sont, au regard des concepts qui structurent cette discipline : ces pôles doivent-ils être appréhendés comme des "cadres d'expérience", des "logiques d'acteur" ou des "logiques d'action" , "des registres et des répertoires" ? ... Pour garder la juste mesure de notre objet, nous devons isoler les dimensions de ces pôles qui permettent le mieux de comprendre les pratiques enseignantes en EME, dans leurs singularités individuelles, mais aussi en les référant au projet politique d'intégration et aux différentes stratégies institutionnelles qui en découlent : s'agit-il de valeurs, d'attitudes, de représentations, de pratiques ? Comment toutes ces composantes s'articulent et se structurent en un ensemble cohérent ? Pour pouvoir espérer rester efficace, nous devons chercher en quoi ces outils peuvent constituer pour des enseignants en EME soucieux de parfaire leurs pratiques une ressource nouvelle, facilement mobilisable par le plus grand nombre, sans propédeutique élitaire, mais sans affadissement conceptuel.

Nous avons vu que les enseignants en EME privilégient fréquemment, comme pratique de ressourcement professionnel, des démarches exigeantes de travail sur soi, à la lumière de repères théoriques issus le plus souvent de la psychanalyse. Nous venons d'expliquer combien ce travail peut être riche, mais pourquoi nous pensons devoir nous en démarquer dans le cadre de cette recherche de Sciences de l'Education : il nous semble préférable d'ouvrir de nouvelles voies à la réflexion collective, plutôt que de prendre le risque de redoubler d'un discours savant des pratiques actuelles de discours de pouvoir. C'est pourquoi nous choisissons d'investir prioritairement l'autre espace de ressourcement que revendiquent les enseignants en EME, celui des pratiques institutionnelles, des rencontres et des réunions. Nous souhaitons aider les enseignants à nourrir des liens avec leurs différents collègues, enseignants, éducateurs, psychologues, en développant des outils permettant de mieux repérer, dans le respect des différences professionnelles et des subjectivités, les scènes éventuelles de coopération, les objets des échanges possibles, les frontières et les fractures, et le cas échéant, en développant des stratégies collectives d'élaboration de nouvelles pratiques.

Dans ce but, il nous faut pouvoir prendre en compte les différents niveaux qui constituent l'expérience professionnelle des enseignants en EME : de la pratique quotidienne de la classe pour des résultats souvent décevants, aux valeurs les plus essentielles qui depuis le premier jour soutiennent leur désir d' enseigner, en passant par les choix pédagogiques qui déterminent des attitudes et des dispositifs ou la perception des collègues qui influe sur l'investissement que chacun aura des pratiques collectives. Il nous faudra recenser ces différents éléments mobilisés par les enseignants, en appréhender la distribution dans les divers moments de l'exercice professionnel, repérer comment chacun en mobilise certains, en néglige d'autres, pour constamment chercher à maintenir sa capacité d'enseigner, puis comparer ces stratégies individuelles, en établir les différences, dégager des points communs....

Pour cela, un modèle théorique solide nous est nécessaire, qui permette à la fois de prendre en compte la multiplicité des éléments mobilisables et de révéler la cohérence des configurations mobilisées. Il n'est pas question d'enfermer les acteurs dans une structure préfabriquée, mais au contraire d'établir leur compétence à prendre en compte toutes les ressources disponibles, et à privilégier les plus adaptées à leur situation ou à leur projet.