3.3.3. Le monde de la Normalisation Scolaire

Les ouvrages de Rémi Casanova et de Christian Cousin permettent d'étoffer le pôle Normalisation Scolaire (NS) en un monde cohérent. L'essentiel de leurs discours est construit autour d'une référence à la norme des pratiques scolaires ou des compétences professionnelles, que l'enseignant auprès d'élèves en situation de handicap ou d'échec très lourd se doit d'adapter. "La classe spécialisée ressemble à s'y méprendre à de nombreuses classes ordinaires. Il s'y pose les mêmes dimensions : celles de l'hétérogénéité des compétences et des comportements, des relations avec les familles, de la question de la Loi, du sens et de la cohérence des apprentissages, pour ne prendre que les plus évidentes, se retrouvent sur tous les terrains, dans tous les cycles, certes à des degrés divers et plus ou moins crûment." 176

L'adaptation est la démarche qui permet de réduire cet écart à la norme : "Adaptation et adaptations (sont les) mots qu'on trouve le plus fréquemment employés quand on évoque le travail devant les élèves dans les EGPA: il faut a-dap-ter". 177 Tout peut s'adapter : les programmes, les techniques, les élèves et les enseignants. "Etre adapté au monde, c' est réussir à adapter le monde à ses propres besoins" 178 .

Ainsi, le rôle premier de l'enseignant est de mettre en œuvre une pédagogie adaptée, c'est-à-dire pour reprendre le schéma néo-piagétien que développe Christian Cousin, assimiler les normes scolaires en les accommodant aux difficultés des élèves. Programmes, progressions, programmations, capacités, compétences, performances, objectifs, évaluations... sont les objets privilégiés de cette pédagogie ; en CLIS, selon Rémi Casanova, la pédagogie serait avant tout différenciée, jusqu' à devenir individualisée : à travers une longue comparaison avec les usages alimentaires, l'auteur, s'il reconnaît que "l'enjeu véritable se situe dans l'adaptation, encore et toujours," se méfie "néanmoins de la constitution de référentiels trop savamment gradués, dans la lignée de la pédagogie par objectifs", préférant "les repas à la carte" autour d' un "plat commun (qui) tolère un assaisonnement et une portion personnalisés. L'implication différenciée accepte en outre aussi bien une grande tablée qu'un repas pris dans la solitude." 179 Dans cette perspective, tous les objets de l'école sont éventuellement mobilisés, à condition de pouvoir être adaptés. En fin de compte, "une évaluation rigoureuse et précise apparaît comme une nécessité". 180

"Ne jamais s'engager sur un mode affectif (...) mais toujours s'efforcer de placer la relation dans une double dimension: professionnelle (...) et citoyenne" 181 où "le maître sera entendu comme celui qui aura la maîtrise non seulement d'un savoir, mais aussi des manières d'accéder à ce savoir" 182 : la relation, dans le monde de la Normalisation scolaire est pensée comme une relation de maître à élève, voire de maître à disciple. L'adaptation semble devoir se réaliser dans l'espace relationnel d'une formation globale de l'enfant, une mise en forme d'élève, de travailleur, de citoyen.

On touche ici au Principe Supérieur Commun de ce monde, à sa visée idéale, qui considère qu'il n' y a qu'une Terre pour tous les hommes, comme il n' y a qu'une école pour tous les enfants : à l'enseignant d'indiquer à chacun sa place et son chemin, d'adapter l'une et l'autre à chaque élève, selon ses compétences et ses performances, finement évaluées. On peut rapprocher ce monde de la Cité Industrielle que décrit la théorie des Economoies de la Grandeur, qui organise autour des valeurs de performance et de fonctionnalité les relations de travail des professionnels, selon des mesures régulières.

Les réunions de synthèses, réglementaires, constituent la ressource collective privilégiée de ce monde de l'adaptation de chacun à un objectif commun. Dans le respect des normes établies à l'extérieur de l'établissement, en l'occurrence les Annexes XXIV, un projet individualisé est élaboré pour chaque élève, le plus souvent selon une méthodologie explicite et en fonction de dispositifs d'évaluation aisément mobilisables : la réunion de synthèse permet régulièrement l'articulation des différents intervenants à cet objet commun par des séquences programmées "d'information ...), d'enquête (...), de résolution de problèmes (...), de régulation (...) et de conversation." 183

Les réunions de coordination (par exemple, note Christian Cousin entre un instituteur et le professeur technique chargés d'une même classe) semblent également souhaitables pour pouvoir à tout moment adapter la démarche pédagogique : programmes, progressions, matériels... ; ou même imaginer des collaborations plus étroites comme des interventions à deux, des décloisonnements, des approches transversales. Ainsi sont investies, comme dans les autres écoles, les réunions pédagogiques dites "de la vingt-septième heure" qui rassemblent exclusivement les enseignants.

Notes
176.

CASANOVA (Rémi), op. cit. p. 9

177.

COUSIN (Christian), op. cit. , p.117

178.

Ibid., p. 118

179.

CASANOVA (Rémi), op. cit., pp. 31-32

180.

Ibid. , p. 53

181.

COUSIN (Christian), op. cit., p. 133

182.

CASANOVA (Rémi), op. cit., p. 67

183.

COUSIN (Christian), op. cit., p. 55