1.2. Le questionnaire d'enquête

1.2.1. Décrire, comparer, classer

"Il est habituel de considérer qu'une enquête complète doit commencer par une phase qualitative, sous la forme d'un ensemble d'entretiens non directifs ou structurés, suivie d'une phase quantitative, l'application d'un questionnaire à un échantillon permettant une inférence statistique au cours de laquelle on vérifie les hypothèses élaborées au cours de la première phase et on les complète par des renseignements chiffrés." 207 Notre démarche semble prendre ainsi le contre-pied des usages les plus convenus. En effet, nous avons choisi de recourir à l'enquête par questionnaire, c'est-à-dire à la recherche d'indicateurs quantitatifs de régularités statistiques, avant de procéder à des entretiens, pour dévoiler les cohérences intimes et sociales.

En effet, si la construction et la mise en œuvre de ce questionnaire constituent bien la phase initiale de notre enquête proprement dite, elle ne représente que le deuxième temps de notre recherche. L'analyse bibliographique nous a permis une première modélisation de notre objet, en trois mondes de référence, qui peut structurer l'ensemble du travail d'enquête. Ainsi ce questionnaire n'a pas à assumer la fonction pré-exploratoire que doivent remplir les entretiens dans un modèle plus académique des enquêtes sociologiques : cette première représentation des pratiques enseignantes en EME étant stabilisée, grâce au recours aux mondes de référence, le rôle du questionnaire est de permettre un retour sur le terrain pour décrire plus finement la diversité des acteurs, de leurs pratiques et de leurs représentations. Pour ce faire, nous tentons d'articuler trois exigences complémentaires : décrire, comparer et classer.

Décrire, car en l'absence de tout autre regard statistique préalable sur notre objet, malgré notre expérience personnelle et l'étude de ce champ menée dans la première partie de cette recherche, nous ne disposons d'inventaire précis ni des acteurs et de leur répartition dans les différents types d'établissements, ni de leurs représentations de leurs pratiques pédagogiques, ni des formes de collaboration interprofessionnelle qu'ils peuvent investir. Un travail de description de ces trois dimensions, en un éventail étendu de variables et de modalités, est donc nécessaire. L'appui sur les mondes de référence permet de structurer cette description autour de leurs différents composants : nous pourrons ainsi recenser et observer, entre autres, des principes supérieurs, des objets et des sujets, des qualités et des relations...

Comparer est tout aussi utile pour tenter de comprendre les ressorts et les enjeux de ces pratiques. Il peut s'agir de comparer les usages ainsi décrits aux modèles des mondes de référence préalablement construits, c'est-à-dire évaluer la pertinence de ces derniers à structurer, non pas seulement les récits d'experts ou de praticiens éclairés, mais aussi les représentations des acteurs eux-mêmes. Il faut également comparer entre elles les diverses façons d'être ou d'exercer des différents acteurs, c'est-à-dire mesurer les éventuelles relations entre caractéristiques institutionnelles et représentations des pratiques pédagogiques, entre formes d'enseignement et formes de rencontre interprofessionnelle, etc.

L'analyse des plus significatives de ces covariances nous permet de comprendre quelles logiques influent sur les comportements collectifs des enseignants et de classer ces derniers selon de nouvelles typologies. Ainsi ces classements peuvent nous guider dans la phase suivante de l'enquête : le recueil, par la technique de l'entretien, de récits de stratégies interprofessionnelles et du déploiement d'une compétence professionnelle à l'accord.

Notes
207.

GHIGLIONE (Rodolphe), MATALON (Benjamin), Les enquêtes sociologiques, théories et pratique, Paris, Armand Colin, 1998 (1ère éd. 1977), p. 93