1.2.3. L'échantillon et le protocole

Evaluer, fût-ce grossièrement, le nombre des enseignants en EME relève, avons-nous dit, de la gageure. Mais la démarche d'enquête par questionnaire nécessite que soit identifiée et approchée cette population. Comment faire ?

Ce n'est pas en repérant où sont les élèves que l'on peut espérer recenser les enseignants : un certains nombre d'enfants ou d'adolescents suivant les enseignements d'éducateurs techniques ou spécialisés sont considérés comme non-scolarisés et échappent à toute considération administrative. Tenter seulement d'apprécier le nombre d'enseignants en rapportant le nombre d'élèves à un éventuel taux d'encadrement scolaire est de ce fait impossible.

Ce n'est pas non plus en ayant recours à des statistiques des services de gestion des personnels puisque nous avons vu que les enseignants se dispersent selon une multitude de qualifications et de statuts, relevant de tutelles publiques ou privées. Dans le seul cas des enseignants rémunérés par l'Education Nationale, certains relèvent de l'enseignement public, d'autres de l'enseignement privé, certains du premier degré, d'autres du second, etc. Et quand bien même, on ne chercherait à dénombrer qu'une catégorie d'enseignants, mais vraisemblablement la plus nombreuse, les instituteurs ou professeurs d'école spécialisés, rien ne permet de distinguer parmi eux (et même parmi les seuls "option D") qui enseigne en EME, qui en CLIS ou en EREA.

Le seul moyen que nous avons pu imaginer pour entrer en contact avec les enseignants en EME est de nous adresser à leurs établissements d'exercice. En effet, une vingtaine de centres régionaux, les CREAI, recensent à des fins d'information, de conseil, de recherche et de formation l'ensemble des établissements et services sociaux en faveur des "enfants et adolescents inadaptés". Ils publient entre autres, chacun pour le territoire de sa compétence, un annuaire des établissements médico-éducatifs qu'ils proposent au public, généralement à des prix extrêmement modiques. Certains CREAI, pour des raisons non-explicitées, monnayent ces listes à des tarifs rédhibitoires, jusqu'à plusieurs centaines d'euros. L'examen des données rapidement disponibles 216 ne laissant pas apparaître de disparité régionale significative, et soucieux de limiter autant que faire se peut la lourdeur logistique et financière de cette recherche, nous avons arrêté notre choix sur les deux régions que nous connaissions le mieux pour y avoir exercé en EME pendant une dizaine d'années, Rhône-Alpes et Ile de France. Ces régions présentent plusieurs avantages : le premier étant d'être toutes deux très peuplées et de ce fait riches en établissements spécialisés ; ensuite nous les connaissons bien, du moins dans le champ qui nous intéresse, ainsi nous pouvons, par exemple, plus aisément repérer les situations exceptionnelles et les particularités locales qui pourraient influer sur des dimensions importantes de notre recherche; enfin, et c'est très important pour la suite de l'enquête, elles nous sont facilement accessibles, l'une parce que nous y habitons, l'autre, à deux heures de train, où nous avons gardé de nombreuses attaches, capables s'il le faut de nous faciliter le recueil de données (hébergement, accompagnement).

Le fait que nous soyons connu dans quelques-uns des établissements de l'échantillon retenu ne nous semble pas pouvoir affecter la validité des réponses qui en proviendraient, étant entendu que nos plus proches collègues n'ont été consultés qu'au moment du pré-test. A ce propos, le questionnaire fut soumis à trois procédures de contrôle préalable : des personnes extérieures au champ de l'étude ont été invitées à évaluer l'accessibilité du vocabulaire et la correction de la syntaxe ; après avoir soumis les collègues de l'établissement où nous exerçons à une passation individuelle en face à face, nous les avons réunis pour évaluer collectivement cet outil ; enfin, le questionnaire a été communiqué aux enseignants de deux instituts voisins où nous avions travaillé, et récupéré quelques jours après ; nous nous sommes entretenu avec la plupart des personnes ayant ainsi répondu pour apprécier la qualité des conditions de passation et leur opinion par rapport aux différentes questions. Il ressort de ces différentes consultations que les enseignants avaient beaucoup apprécié ce questionnaire, principalement les questions les plus inhabituelles (repérage des mondes de référence), qu'ils avaient tenu pour la grande majorité à le passer seul, mais qu'ils avaient été heureux, après coup, de pouvoir échanger ensemble au sujet de réponses particulières : des débats institutionnels, au-delà de l'équipe enseignante, ont été même ainsi parfois provoqués. Toutefois, quelques remarques, parfois critiques, ont été exprimées :

C'est donc assez peu remaniés que les questionnaires 217 furent envoyés par les services postaux à tous les autres établissements dont les adresses figuraient sur les listes fournies par les CREAI d'Ile de France et de Rhône-Alpes, à savoir :

Tableau n°2-1 Répartition des envois de questionnaire par type d'établissement
IMP IME IMPro IR Total
Ile de France 44 98 20 27 189
Rhône-Alpes 18 95 10 44 167
total 62 193 30 71 356

Il n'y avait pas d'autre moyen pour atteindre chaque enseignant que de passer par la hiérarchie de chaque établissement : les courriers étaient adressés à "Mme ou M. le (la) responsable pédagogique." Cette dénomination ne correspond à aucune qualification ou profession reconnue : le directeur de l'établissement, un chef de service éducatif, un directeur d'école peuvent être dans leur établissement identifiés de la sorte. En effet, nous ne voulions par la présentation de notre courrier ni exagérer le caractère hiérarchique de notre démarche, ni en risquer d'en exclure, au hasard des particularités d'organisations, certains professionnels. Nous sommes conscient que l'obligation d'utiliser la voie hiérarchique de l'EME pour diffuser le questionnaire peut induire certaines attitudes vis-à-vis de notre démarche ; nous nous sommes efforcé de réduire ce biais en proposant dans chaque pli :

Nous ne pouvons que comptabiliser le nombre d'individus ayant répondu, les conditions de retour ayant été excessivement diverses : plusieurs enseignants ont même répondu avec leurs propres enveloppes, à leurs frais, vraisemblablement pour échapper à l'éventuel contrôle de leur établissement ; d'autres, mari et femme exerçant dans deux établissements différents, renvoient leurs questionnaires sous un seul pli ; certains établissements retournent une seule enveloppe, contenant jusqu'à six questionnaires, d'autres répartissent trois questionnaires en trois enveloppes... L'examen des cachets postaux et une estimation totalement empirique (étalement des retours, proximité de certaines formulations dans les réponses) nous laissent penser qu'entre un cinquième (71) et un quart (89) des établissements contactés ont renvoyé des questionnaires remplis.

En outre, une douzaine d'établissements ont répondu qu'ils ne pouvaient pas répondre : quatre parce qu'ils n'en avaient pas le temps, six parce qu'ils regrettaient de ne compter dans leur personnel aucun enseignant, deux parce qu'ils n'étaient pas des EME.

En tout, 224 questionnaires nous sont parvenus ; quinze n'ont pu être retenus pour les raisons suivantes :

Donc, notre analyse porte sur un échantillon de 209 enseignants.

Notes
216.

Tous les annuaires régionaux ont été examinés, sauf ceux concernant l'Ile de la Réunion, la Corse, la région Aquitaine, et Languedoc-Roussillon, le CREAI de cette dernière région nous ayant averti que des remaniements profonds dans le secteur médico-éducatif interdisaient provisoirement toute démarche d'enquête.

217.

Voir en annexe 2-1, un exemplaire du questionnaire et la lettre d'accompagnement.