On pourrait s'attendre à ce que la question sur les caractéristiques des élèves suscite autant de réponses que celle sur la qualité administrative de l'établissement, l'une et l'autre étant étroitement liées. Or plus de 20% des enseignants s'abstiennent de répondre. Nous pensons qu'en effet un certain nombre d'entre eux ne connaissent pas précisément la dénomination administrative de la population accueillie, sont intimidés par des formulations comme "déficients" ou "TCC", et ne souhaitent pas les reprendre à leur compte dans une réponse à une question ouverte, c'est-à-dire nécessitant un effort d'écriture et de choix des termes les plus adaptés.
Les réponses peuvent être présentées sous cette forme :
Caractéristiques des élèves | Effectif | % exprimé | % total |
Déficiences sévères et moyennes | 52 | 24.88 | 32.10 |
Déficiences légères ou non-précisé | 64 | 30.62 | 39.51 |
TCC, Troubles psychologiques | 42 | 20.10 | 25.93 |
Autres | 4 | 1.91 | 2.47 |
ENSEMBLE | 162 | 77.51 | 100.00 |
Cette répartition mérite quelques explications : en raison du flou qui entoure la notion de déficience intellectuelle, particulièrement de déficience légère, nous avons choisi d'amalgamer les indications vagues de déficience aux indications de déficience légère ; en effet, comme le montre de façon précise et argumentée Dominique Berger 219 , depuis 1967, le terme de déficience intellectuelle cache une "contradiction conceptuelle" entre une représentation structurelle et irréversible du déficit et une acception pédagogique qui insiste sur l'éducabilité du sujet déficient. La distinction débilité (puis déficience) légère / débilité moyenne ou lourde a servi depuis près d'un demi-siècle à masquer cette ambiguïté. C'est pourquoi nous retenons comme significative la seule différenciation entre, d'un côté, déficiences moyennes (ou lourdes ou sévères...) qui renvoient à une représentation d'un déficit organique, et, d'un autre, déficiences ou déficiences légères, entre arriération héréditaire et trouble réactionnel 220 , nosographies on ne peut guère plus floues : "la particularité de l'arriéré est de n'en avoir point, d'où l'extrême diversité des repères psychologiques supposés le définir, et qui traduisent l'inaccessibilité théorique des signes d'une infériorité intellectuelle ou l'extrême embarras pour les mettre à nu." 221
Cette question a donné lieu à des réponses aux formulations souvent inattendues : ainsi, la modalité "Autres" regroupe aussi bien l'indication "pathologies variées" correspondant à juste titre à l'agrément d'un IES, accueillant des enfants caractérisés dans le registre de la déficience (IMP) ou dans celui des troubles du comportement (IR), que des termes vestiges d'un autre temps, "mongoliens" (cité deux fois) ou "de type caractériels, non délinquants" (une fois). De nombreuses réponses témoignaient d'une moindre liberté vis-à-vis des nomenclatures officielles : ainsi ont été classées dans la modalité "TCC, troubles psychologiques" des formulations hybrides comme "caractériels d'intelligence normale présentant des troubles du comportement" ou "échec scolaire et troubles du comportement", ou des références au seul registre de la maladie mentale, par exemple "Psychotiques".
La mention de "troubles associés", marginale, concerne essentiellement les formulations "déficients légers" (voire "déficients légers et moyens"), le plus souvent sans que soit plus définie la nature de ces troubles ; au contraire, il est plusieurs fois précisés au sujet d'agréments TCC, "sans trouble (ou déficit) instrumental associé". Nous pensions que plus d'enseignants investiraient cette mention pour décrire de façon plus singulière des caractéristiques de leurs élèves et ainsi témoigneraient d'attitudes particulières à leur égard.
Quant aux deux premières modalités, nous avons été surpris de constater combien il était fréquent que le terme même de "déficience" ou "déficient" disparaisse, et soit remplacé par "handicap" ou "handicapé", quand il n'est pas seulement fait mention du degré : "moyens et sévères", "handicapés profonds". Comme pour la troisième modalité, nous avons dans ces catégories regroupé les formulations qui nous semblaient voisines, même si elles pouvaient témoigner de logiques représentationnelles différentes, par exemple, "Déficients mentaux sévères (psychoses, autisme)."
Une douzaine de questionnaires font état d'un agrément supplémentaire "annexe XXIV ter" ou signalent la présence au sein de l'établissement (IMP ou IME) d'un petit groupe d'enfants polyhandicapés. Il s'agit là de particularités institutionnelles que notre recherche ne peut prendre en compte, quoique nous soyons convaincu qu'il serait enrichissant d'étudier dans quelle mesure la présence d'enfants polyhandicapés dans un établissement peut modifier la prise en charge des autres élèves.
Ces données chiffrées ont été codées en quatre catégories afin de construire une variable nominale, plus facilement comparable aux autres variables. Nous avons choisi des seuils permettant une répartition en quartiles équilibrés des 173 réponses :
Nombre d'élèves | effectif | % exprimé | % total |
de 16 à 44 | 44 | 21.05 | 25.43 |
de 45 à 59 | 49 | 23.44 | 28.32 |
de 60 à 84 | 39 | 18.66 | 22.54 |
85 et plus | 41 | 19.62 | 23.70 |
ENSEMBLE | 173 | 82.78 | 100.00 |
Quelques remarques au sujet des effectifs extrêmes : un des plus petits établissements (16 élèves) est un établissement à double agrément IR et centre de rééducation fonctionnelle (enfants en situation de handicap moteur) ; les établissements de moins de 20 enfants sont à part lui tous des IMP. A l'autre extrême, un IES accueille jusqu'à 220 élèves : c'est là une exception, constituée par le plus gros établissement médico-éducatif au niveau national, les plus gros effectifs ne dépassant jamais autrement 120 enfants ou adolescents
BERGER (Dominique), Pour une réévaluation du concept de déficience intellectuelle, Thèse de doctorat ès Lettres et Sciences humaines, I.S.P.E.F, Université Lyon II, 1999, p. 87
On pourra se reporter à l'analyse des théories sur la déficience mentale de D. Berger, in : BERGER (Dominique), Ibid., pp. 289-299
GATEAUX-MENNECIER (Jacqueline), La débilité légère, une construction idéologique, Paris, CNRS, 1990, p.117