Selon une méthode proche, nous avons cherché à repérer quelle figure métaphorique de métier permettait le mieux aux enseignants de se représenter leur fonction. Deux critères ont conduit à dresser cette liste pour caractériser la représentation de son métier que construit chaque enseignant : son objet privilégié et la nature de sa démarche professionnelle. Nous entendons par "nature de la démarche professionnelle", le positionnement de chacun sur un axe "praxis-poïesis", dont, par exemple, Francis Imbert définit ainsi les termes : "la poïesis se réalise dans une production, un ergon extérieur à l'artiste. Action transitive et fabricatrice, elle cesse aussitôt que son but est atteint. Sa fin ne lui est pas immanente à la différence de la praxis, qui n'a d'autre fin qu'elle-même et ne tend pas à la réalisation d'une œuvre extérieure." 230 Dans ce sens, l'image de l'inventeur renvoie à la représentation d'une praxis : par définition, il n'existe pas de modèle préalable de l'invention que l'inventeur se doit de découvrir ; l'attitude de recherche nécessaire à l'inventeur suppose un savoir-être qui ne s'épuise pas une fois l'invention effectuée, mais structure l'ensemble des conduites antérieures et ultérieures de l'inventeur en différentes façons d'appréhender le monde ; à l'opposé, l'image du réparateur mobilise une représentation de poïesis, mise en œuvre parfois experte, d'un savoir et d'un modèle extérieur à l'acteur : le schéma de montage de l'appareil, les principes de fonctionnement de la machine, etc. ; la fonction du réparateur s'achève à la fin de l'acte de réparation, il n'est pas de réparateur sans objet à réparer; à mi-chemin, l'ingénieur travaille sur un objet indépendant de sa personne, mais son "génie" est convoqué pour inventer les conditions particulières de réalisation du projet.
Inventeur, réparateur et ingénieur partagent un objet privilégié : le savoir technique, la connaissance des objets sans laquelle aucun ne pourrait développer son art. En référence à plusieurs textes 231 interrogeant les procédés métaphoriques qui nourrissent les discours des champs de l'enseignement et de la formation professionnelle, trois autres objets ont été identifiés et retenus 232 : la mise en forme d'une figure humaine, le projet de changement social, la réalisation d'un voyage. Chaque métier proposé aux enseignants questionnés est ainsi repéré selon ces deux critères :
Praxis | / | Poïesis | |
Savoir | Inventeur | Artisan/ Ingénieur | Réparateur |
Fabrication | Sculpteur | Accoucheur | Chirurgien |
Changement social | Révolutionnaire | Militant | Stratège |
Voyage | Explorateur | Guide | Pilote |
L'hypothèse qui justifiait cette question supposait que devraient se dégager des modèles en cohérence avec les mondes de référence : au monde de la Normalisation scolaire correspondrait la figure du réparateur, privilégiant la représentation d'un travail de poïesis sur l'objet « savoir », quand le monde de la Rupture communautaire privilégierait les figures convoquant un projet social.
IMBERT (Francis), Vers une clinique du pédagogique, un itinéraire en sciences de l'éducation, Paris, Matrice -PI, 1992, p. 109. Nous nous référons également à : FABRE (Michel), "Faire" la classe, entre praxis et poïesis, Educations, Janvier-Février 1996, pp. 53-55
BEILLEROT (Jacky), Voies et voix de le formation, Paris, Editions universitaires, 1988
ENRIQUEZ (Eugène), Petite galerie de formateurs en mal de modèle, Connexions n°33, 1981, pp. 93-110
HAMELINE (Daniel), L'éducation, ses images, son propos, Paris, ESF, 1986
KAES (René) et coll., Fantasme et formation, Paris, Bordas, 1975
Nous aurions pu également retenir des métaphores alimentaires (nourrir, gaver,...) ou agricoles (labourer, cultiver, arroser...).