3.4.2. Un besoin de confiance

Une première procédure de tri à plat permet d'agréger et de présenter les réponses de la façon suivante :

Tableau n° 2-22 Besoins des élèves : présentation des données
A votre avis,
vos élèves ont en priorité besoin
pour apprendre en classe :
1er choix (%) 2ème choix
(%)
3ème choix
(%)
4ème choix
(%)
5ème choix
(%)
Non choix
(%)
D'une relation de confiance avec l'enseignant 34.5 18.2 11.0 11.0 04.3 21.0
De parcours individualisés 21.5 22.0 13.4 10.1 08.1 24.9
D'aide et de soutien psychologiques 11.0 11.5 14.8 08.1 06.2 48.4
D'espaces de parole et d'expression 06.2 09.1 12.4 11.5 14.4 46.4
D'un climat stimulant dans la classe 06.2 08.1 10.5 09.6 13.4 52.2
D'activités régulières et ritualisées 05.3 12.9 10.1 12.9 13.9 44.9
De programmes d'acquisitions précis 03.8 01.9 06.2 04.3 02.4 81.3
D'ouverture sur l'extérieur 03.3 02.4 07.7 09.6 19.6 57.4
De rééducations appropriées 02.9 05.3 02.9 09.1 06.2 74.7
D'activités variées et innovantes 02.4 06.7 07.7 10.0 06.2 67.0
De projets ambitieux 01.9 01.0 02.9 02.9 03.3 88.0

L'échantillon interrogé exprime de façon massive (79%) le besoin des enfants ou des adolescents d'une relation de confiance avec leur enseignant. A l'opposé, près de neuf enseignants sur dix ne mentionnent pas les "projets ambitieux" comme un des cinq facteurs nécessaires à la réussite des élèves. Une fois de plus, nous observons ainsi la mobilisation massive d'un élément du monde Praxis et relation et un refus presque unanime du monde de la Rupture communautaire. Le troisième monde, celui de la Normalisation scolaire, que nous repérions particulièrement dans le référentiel de compétences des CAAPSAIS, apparaît également très en retrait dans ces réponses d'enseignants : il se caractériserait en effet par la mise à distance de la relation à l'enfant, facteur ici plébiscité, et par le souci de proposer aux élèves des programmes d'acquisition précis et personnalisés, proposition très peu investie par notre échantillon qui ne le retient que dans moins de 20% des cas, ne le plaçant en premier rang qu'à peine une fois sur vingt-cinq.

L'examen plus attentif des données de ce tri à plat permet d'observer, selon les variables, différentes dynamiques de choix. En effet, la représentation sous forme de courbes de l'évolution des pourcentages de choix de chaque item selon les différents rangs de classement révèle trois modèles distincts :

  • des besoins principaux, qu'illustre une courbe décroissante: meilleur est le rang de classement, plus élevés sont les pourcentages de choix. Les items Relation de confiance et Parcours individualisés correspondent à ce modèle.
  • un besoin secondaire, qu'illustre une courbe "en cloche" (type courbe de Gauss) : le plus grand nombre de choix (14.8%) s'effectue sur un rang moyen. Il est particulièrement intéressant de noter que seule la modalité "Aide et soutien psychologique" correspond à ce modèle: la formulation même de la question, demandant de choisir les besoins des enfants "en classe", incitait sans doute les enseignants à moins retenir cette proposition ; qu'ils l'aient cependant particulièrement retenue dans les rangs moyens indique, à notre avis, leur intention d'exprimer le besoin qu'ont leurs élèves d'un accompagnement psychologique en dehors de la classe.
  • des besoins marginaux : le climat stimulant dans la classe en est un exemple, caractérisé par une courbe croissante, affectant les moins faibles scores aux moins bons rangs. Caractérisés par une forte majorité de non-choix, ces besoins ne sont caractéristiques que d'une proportion faible des réponses des enseignants.

Mais la formulation de la question, demandant aux enseignants de nous communiquer une représentation complexe en ordonnant un choix de cinq facteurs parmi onze propositions, permet d'analyser les réponses bien au-delà de ce premier constat. Les procédures informatisées de factorisation, principalement la caractérisation des variables 241 les plus significatives par leurs modalités et leur marquage sémantique, l'analyse des correspondances multiples particulièrement par la construction et la description d'axes factoriels et de classes, nous renseignent sur les cohérences les plus statistiquement remarquables dans les réponses de notre échantillon.

Il n'est pas très instructif de tenter de caractériser les différentes modalités des besoins marginaux: en effet, le faible nombre de choix effectués dans les premiers rangs ne rend pas le traitement statistique très significatif. Par contre, une telle étude des deux besoins principaux et du besoin secondaire s'avère plus justifiée.

Cette procédure nous apprend ainsi que les enseignants qui privilégient le besoin d'aide et soutien psychologique de leurs élèves, l'associent au besoin de parcours individualisés et, au contraire, semblent l'opposer à la nécessité d'un climat de classe stimulant 242 . Si, comme nous l'avons supposé précédemment, l'attention portée au besoin de soutien psychologique témoigne d'une ouverture des enseignants sur l'environnement institutionnel, nous devons considérer que cette attention a tendance à s'accompagner d'un relatif désinvestissement de la classe comme espace collectif et d'une individualisation du regard sur l'élève.

L'étude similaire du besoin principal "parcours individualisé" corrobore ces remarques en établissant à nouveau bien entendu les liens entre les choix de cette variable et de "aide et soutien psychologique". De plus, on voit logiquement apparaître une opposition entre les estimations de besoins de parcours individualisé et les choix de privilégier le climat de la classe ou l'ouverture sur l'extérieur. Il est plus étonnant de voir statistiquement opposés les choix de "parcours individualisés" et de "relation de confiance avec l'enseignant". 243

C'est pourquoi nous choisissons d'examiner avec plus d'attention la variable "relation de confiance" en analysant les résultats du marquage sémantique de ses différentes modalités : pour chacun des rangs selon lesquels cette proposition a été choisie, le programme informatique indique les modalités des dix autres variables les plus significativement liées, et les agrège en séquences de choix statistiquement représentatives. Pour les deux modalités les plus fréquemment retenues (premier rang et non-choix), nous proposons les deux séquences les plus probables :

Tableau n° 2-23 Caractérisation du choix du besoin de relation de confiance
Rang Besoin des élèves Besoins des élèves
1er choix relation de confiance parcours individualisés
2ème choix parcours individualisés rééducations appropriées
3ème choix espaces de parole ouverture sur l'extérieur
 
Réponse manquante rééducations appropriées
aide et soutien psychologique
relation de confiance
activités ritualisées

Ce qui nous parait le plus notoire, à ce moment de l'étude, est la cohérence limitée des réponses par rapport aux mondes de référence que nous avons décrits. Le besoin de relation de confiance avec l'enseignant, selon nous caractéristique du monde "Praxis et relation", est moins articulé à des besoins liés à ce monde, comme le besoin d'espaces de parole, qu'à des besoins représentatifs du monde de la Normalisation scolaire, comme celui de parcours individualisés ou d'activités régulières. De même, le besoin de relation de confiance semble s'opposer à celui d'aide et soutien psychologiques, pourtant élément structurant du même monde.

Ces apparentes contradictions montrent que les trois mondes sont bien simultanément disponibles pour chacun des enseignants : seule une logique discursive de justification (ou de dénonciation) permet, le cas échéant, d’en agréger des éléments en des configurations cohérentes. Ainsi sans doute peut-on en partie comprendre l’incessant travail d’adaptation des enseignants en EME, qui tentent, dans leurs pratiques quotidiennes, d’habiter des fragments de monde disparates, parfois même contradictoires.

Notes
241.

Voir annexe n° 2-09

Nous avons choisi de saisir les données en considérant chacune des onze propositions de besoins comme une variable, caractérisée par six modalités correspondant aux cinq rangs de choix possibles et à la possibilité de non choix. Dans le cas où la consigne, complexe, n'est pas respectée ( plusieurs fois, le répondant coche cinq propositions sans les ordonner), le rang moyen est affecté à chacune des propositions retenues.

Une autre procédure de codage aurait été envisageable, considérant les cinq variables de choix déclinées en onze modalités. L'effectif relativement réduit de notre échantillon nous a conduit à privilégier le mode de codage proposant pour chaque variable un nombre restreint de modalités.

242.

Quand "Aide et soutien psychologique" est classé en quatrième rang, "Parcours individualisé" est classé cinquième à une fréquence significative (v-test=2.55) ; de même, pour le deuxième choix d'Aide et le premier de Parcours (v-test=2.64). Par contre, le non-choix du besoin d'aide et de soutien psychologiques correspond au choix en deuxième ou troisième position de "climat stimulant"

243.

Au premier choix de "parcours individualisés" est associé dans des proportions significatives (v-test=2.79) le non-choix de "relation de confiance ».