3.5.3. Quelles pratiques pour quels besoins ?

Cette nouvelle variable a comme fonction de permettre de caractériser des représentations des enseignants par croisement avec d'autres variables. En premier lieu, nous voulons connaître les éventuelles relations entre ces conceptions des enseignants de leurs pratiques pédagogiques et les besoins qu'ils identifient pour leurs élèves : y a-t-il cohérence entre les deux dimensions ?

Les effectifs réduits de certaines modalités (165 réponses se dispersent en une vingtaine de modalités croisées) ne permettent pas d'attester d'une dépendance globale entre ces deux variables. Mais l'observation minutieuse des répartitions les plus en écart avec la fréquence moyenne des réponses révèle quelques tendances, entre l'identification des besoins et la description des pratiques :

Tableau N° 2-31 Quelques relations entre besoins des élèves et pratiques pédagogiques
  Normalisation scolaire Praxis et
Relation
Rupture communautaire Norma + Praxis + Rupture
Relation et
expression
- 15 %
(19)
+ 7%
(17)
+31%
(17)
+44%
(7)
Aide individualisée
aux acquisitions
+11%
(20)
-30%
(9)
-4.5%
(10)
-24%
(3)
Ouverture et
socialisation
+31%
(7)
+32%
(5)
-100 %
(0)
-24%
(2)
Stimulation
collective.
-3.5%
(9)
+21%
(8)
-45%
(3)
-2%
(2)

On peut lire ainsi ce tableau : par exemple, sur les 54 enseignants considérant comme prioritaires les besoins d'aide individualisée, 9 déclarent privilégier des pratiques proches du monde Praxis et relation, ce qui représente un pourcentage inférieur de 30% au pourcentage moyen. Les données inscrites en italique correspondent à des effectifs inférieur à 5, dont la significativité de trouve réduite. Un tel tableau qui étudierait deux variables composées uniquement de modalités totalement indépendantes présenterait des pourcentages de variation à la moyenne tendant vers zéro : on constate ici des valeurs nettement éloignées de cet idéal d'indépendance, qui, en aucun cas, ne permettent de supposer une quelconque dépendance entre les variables, mais peuvent attester cependant de relations significatives entre des modalités.

Par exemple, il est assez inattendu de constater que les enseignants qui identifient comme besoin principal de leurs élèves les besoins de relation et d'expression ne développent pas plus que les autres des pratiques proches du monde Praxis et relation, mais au contraire se réfèrent davantage, de façon exclusive ou non, au monde de la Rupture communautaire. On s'étonnera moins que les enseignants identifiant un besoin d'aide individualisée négligent les pratiques connotées Praxis et relation : nous avions en effet nettement situé cette classe de besoins à proximité du monde de la Normalisation scolaire, à l'opposé du monde Praxis et relation. On pourra enfin être surpris de constater que ceux qui pensent que leurs élèves ont besoin d'ouverture et de socialisation ont moins tendance que les autres à se rapprocher dans leurs pratiques de la rupture, mais au contraire investissent particulièrement des objets, qualités ou relations caractérisant les mondes Praxis et relation et Normalisation scolaire.

Outre la faiblesse de notre corpus, nous proposons une explication à ces écarts aux cohérences attendues : si, entre ces deux questions, les enseignants ne développent de représentations de leur exercice très stabilisées, autour de modèles de mondes extérieurs à l'espace de leur expérience, c'est qu'ils ne fonctionnent pas sur un modèle défensif et fermé, articulant sans défaut possible valeurs, besoins des élèves, techniques, pratiques... Au contraire, leurs pratiques restent ouvertes et tentent d'articuler ce qu'ils perçoivent au sein de l'équipe institutionnelle des besoins de leurs élèves, représentations inspirées par les mondes de référence des champs éducatif et thérapeutique, valorisant vraisemblablement les aspects relationnels ou les critiques envers l'institution scolaire, aux objets disponibles dans leur espace propre d'exercice, matériels, techniques, usages plus proches du monde de la Normalisation scolaire. Ce n'est pas là forcément une contradiction, plutôt une tension, qui génère des attitudes, avons-nous vu, de constante adaptation, de perpétuelle recherche, d'invention continue... et d'insatisfaction permanente.