3.5.4. Quelles pratiques pour quels enseignants?

Selon la même procédure 253 , n'ayant pu constater de relation de dépendance significative entre les caractéristiques institutionnelles des enseignants et leurs pratiques pédagogiques, nous pouvons dresser des tableaux afin de mettre en évidence les plus forts écarts à la moyenne des relations entre les différentes modalités. Ecartant les croisements éparpillant les réponses, nous présentons les valeurs les plus remarquables de deux tableaux particulièrement instructifs :

Tableau N° 2-32 Quelques relations entre caractéristiques des élèves et pratiques pédagogiques
  Normalisation scolaire Praxis et
Relation
Rupture communautaire Norm + Praxis + Rupt
Déficients sévères (41) +0.2%
(15)
-2%
(9)
+6.9%
(8)
-8%
(3)
Déficients légers (48) -15%
(15)
+22%
(13)
+8%
(9)
+5%
(4)
T.C.C. (34) +21%
(15)
-19%
(6)
-3%
(6)
-26%
(2)

On lira ainsi ce tableau : le facteur "Déficients légers" de la variable "Caractéristiques des élèves" favorise de 22% l'occurrence de la modalité "Praxis et relation" de la variable "Pratiques pédagogiques. Autrement dit, 13 enseignants sur 48 s'adressant à des élèves considérés comme déficients ou déficients légers déclarent privilégier des pratiques proches du monde Praxis et relation, ce qui représente un pourcentage de 22% supérieur au pourcentage indiquant la fréquence moyenne des pratiques.

Cet écart est d'autant plus significatif qu'on peut le rapprocher des données de la ligne suivante, montrant qu'avec des enfants dits "atteints de troubles de la conduite et du comportement", ce même monde a plutôt tendance à être délaissé, au profit du monde de la Normalisation scolaire. Entre ces deux mondes, la caractéristique des enfants accueillis semble différenciatrice : l'évocation d'un handicap intellectuel, même léger ou flou, conduit une proportion significative d'enseignants à délaisser les pratiques pédagogiques les plus proches de l'école ordinaire, et à valoriser les aspects relationnels du travail avec leurs élèves ; a contrario, lorsqu'aucune minoration de l'intelligence n'est considérée, les pratiques les plus centrées sur la relation sont moins investies, au profit d'activités programmées d'acquisitions cognitives. Enfin, on remarque qu'enseigner à des élèves considérés comme des "déficients sévères" n'induit pas des pratiques particulièrement différentes de celles conduites avec d'autres classes d'élèves.

Un second tableau, construit sur le même principe, mais présentant les liens avec la variable "Qualification des enseignants" permet d'affiner ces premiers constats :

Tableau N° 2-33. Quelques relations entre qualification des enseignants et pratiques pédagogiques
  Normalisation scolaire Praxis et
Relation
Rupture communautaire Norm + Praxis + Rupture
Instituteur ou PE spécialisé (83) -8%
(26)
+0.5%
(19)
+13%
(19)
+27%
(8)
Instituteur ou PE non-spécialisé (41) -7%
(13)
+7%
(10)
-16%
(7)
-36%
(2)
Educateur technique (12) +71%
(7)
+10%
(3)
-59%
(1)
-100%
(0)
Educateur
scolaire (14)
+25%
(6)
-6%
(3)
-30%
(2)
-53%
(1)

Ces données sont surprenantes : l'instituteur spécialisé, dont le modèle, défini par le référentiel de compétences du CAAPSAIS, a largement inspiré la construction initiale du monde de la Normalisation scolaire, ne semble pas plus le valoriser que ses collègues ; au contraire, c'est parmi ces instituteurs ou professeurs d'école spécialisés qu'on a le plus de chance de trouver des enseignants qui cherchent à développer des pratiques de rupture, ou articulant de façon complexe des objets, qualités ou relations des trois mondes.

Nous nous souvenons nous être également beaucoup appuyé sur une modélisation de l'enseignement technique en établissement spécialisé pour mettre à jour le modèle du monde de la Normalisation scolaire. 254 Nous vérifions ici que l'éducateur technique développe, en effet, nettement plus que la moyenne, des pratiques proches de la norme scolaire. Mais nous avions précédemment constaté que ces mêmes éducateurs techniques adhéraient aux principes supérieurs communs les plus proches du monde de la Rupture communautaire. Ce paradoxe nous interroge : ce sont les enseignants qui semblent pouvoir être les plus contestataires dans leurs représentations du métier ou des besoins des élèves, qui manifestent le plus nettement la tendance à privilégier les modèles les plus conformistes au niveau des pratiques. Il est difficile d'interpréter cette apparente contradiction. Peut être peut-on y voir l'indice de la difficile mission de ces enseignants chargés de la première formation professionnelle : articuler l'institution scolaire (que les anciens ouvriers qu'ils sont souvent pourraient avoir tendance à critiquer) et le monde "du travail", "monde réel" selon certains par opposition au monde protégé, sanctuarisé, de l'école. Comment réussir à promouvoir l'un sans dévaloriser l'autre ? La rupture avec ce qui est identifié comme le monde scolaire serait alors un préalable, permettant d'ouvrir un espace nouveau, où les objets les plus caractéristiques du monde de la Normalisation scolaire, pré-requis, objectifs, performances, évaluations... comme aseptisés, pourraient être réinvestis sans danger.

Mais l'enseignement le plus important de l'étude des tendances révélées par l'examen des relations entre caractéristiques institutionnelles des enseignants et pratiques pédagogiques, est l'opposition, au niveau des représentations comme des pratiques, entre les instituteurs ou professeurs spécialisés et les éducateurs techniques ou éducateurs techniques spécialisés. Les apparentes incohérences entre PSC et pratiques, loin d'atténuer cette opposition, la confirment. Sans doute pouvons-nous approcher ici ce qui rend impossible la fonction de professeur d'enseignement technique en IMPro, exigé dans les textes, introuvable dans les établissements.

Notes
253.

voir annexe n° 2-13

254.

COUSIN (Christian), Enseigner en SEGPA et EREA, Paris, Delagrave, 2000