Nous pouvons imaginer qu'un enseignant est d'autant plus enclin à rencontrer ou travailler avec des personnels non-enseignants qu'il considère que sa compétence professionnelle n'est pas exclusivement pédagogique, mais peut être également éducative, ou même thérapeutique. Ainsi, il reconnaîtrait d'emblée des zones de chevauchement des compétences de plusieurs acteurs institutionnels qui favoriseraient les échanges d'opinion et les partages de pratiques.
Les ressources que l'individu identifie comme les plus utiles pour exercer son métier et les types de projets qu'il investit en priorité dans son activité nous permettent d'apprécier le degré de "centration pédagogique" des enseignants, entre l'intérêt exclusif pour son métier et la prise en compte prioritaire des particularités de l'établissement. Nous évoquons là deux dérives de la fonction enseignante dans les EME, telles que les a longuement décrites Marie-Agnès Simon : la restriction-diminution isolant les pratiques pédagogiques par un effet "de cassure, de brisure, (...) de discontinuité" 256 entre le "scolaire" et le reste de l'institutionnel; et le déplacement-dilution du pédagogique dans l'éducatif par l'investissement exagéré des problématiques institutionnelles. 257
Comme précédemment, nous varions la forme des questions et intercalons entre elles deux la question déjà examinée sur la représentation de la pédagogie, ceci pour limiter tout effet de contagion logique des réponses. D'abord il est demandé aux enseignants d'ordonner parmi une liste de huit propositions les trois principaux facteurs qui inspirent leurs pratiques d'enseignement. Parmi ces huit indicateurs, nous en identifions quatre comme particulièrement caractéristiques d'une attitude "pédago-centrée », c'est à dire focalisée sur les caractéristiques du métier particulier et peu ouverte à la rencontre avec d'autres pro-fessionnels :
A l'opposé, nous proposons aussi quatre items plus "pédago-décentrés", c'est-à-dire permettant à l'enseignant de témoigner explicitement d'un souci d'interprofessionnalité en lui faisant davantage prendre en compte des dimensions de son travail liées aux caractéristiques de l'établissement où il exerce :
On peut présenter les réponses à cette question, ainsi formulée :
Qu'est-ce qui vous semble le plus utile pour enseigner dans votre établissement (Choisir 3 réponses et les classer de 1 à 3 selon le degré de nécessité: 1 pour le plus nécessaire, etc..),
1er choix | 2ème choix | 3ème choix | total | |
L'ancienneté dans le métier |
14 6.7% |
18 8.6% |
19 9.1% |
51 24.4% |
L'expérience dans le poste |
29 13.9% |
36 17.2% |
48 22.9% |
113 54.1% |
La formation initiale |
11 5.3% |
8 3.8% |
19 9.1% |
38 18.2% |
La formation CAPSAIS (ou CAEI) |
22 9.6% |
17 8.1% |
16 7.6% |
55 25.3% |
Les formations complémentaires |
19 9.1% |
21 10% |
8 3.8% |
48 22.9% |
Les réunions avec l'équipe institutionnelle |
48 22.9% |
43 20.6% |
23 11.0% |
114 54.6% |
Les échanges entre enseignants |
28 13.4% |
50 23.9% |
16 7.6% |
94 45.0% |
La connaissance de soi |
33 15.8% |
27 12.9% |
50 23.9% |
110 52.6%% |
Autres 260 (préciser) |
On remarque avec intérêt que les trois critères les plus sollicités, les seuls à l'être par la majorité des répondants, caractérisent une attitude plutôt centrée sur l'établissement : plus de 54% des enseignants considèrent l'expérience de leur poste comme un facteur essentiel de la qualité de leur travail, quand moins d'un quart citent l'ancienneté dans le métier. Mieux, près du quart d'entre eux ordonnent en premier choix les réunions avec l'équipe institutionnelle, alors qu’ils sont presque deux fois moins nombreux à privilégier les échanges entre enseignants exclusivement. 261
L'indicateur le plus fréquent est "la connaissance de soi" en troisième choix, montrant que cette disposition personnelle au décentrement pédagogique est une condition déterminante pour dispenser un enseignement de qualité.
Cependant, nous devons nuancer ce propos en remarquant que les formations complémentaires, caractérisant l'attitude de centration sur l'établissement, sont nettement moins évoquées que les échanges entre enseignants ou même la formation CAAPSAIS, indicateurs de centration sur le métier. Ceci révèle que, vraisemblablement, un nombre significatif d'enseignants expriment des séquences de choix combinant les deux modèles. C'est pourquoi dans le projet qui est le nôtre, nous avons ressaisi ces données en cherchant pour chaque questionnaire à repérer quel était le degré d'adhésion à chacun de ces modèles de centration pédagogique, sur le métier ou sur l'établissement 262 . Ainsi, nous pouvons agréger ces réponses en quatre modalités d'effectifs comparables :
En premier lieu, la relative proximité des effectifs de ces quatre classes ne doit pas abuser l'observateur : la centration sur l'établissement est très largement majoritaire (56.4%) mais exprimée par deux modalités. Même ainsi, ce sont les enseignants qui privilégient exclusivement ou presque les ressources de leur établissement qui sont les plus nombreux : à peine moins d'un sur trois.
Nous pouvons en déduire que, pour la très grande majorité des enseignants, l'opposition métier/établissement ne s'exprime pas selon le mode du clivage, mais plus selon celui plus dialectique de l'articulation : près des deux tiers des enseignants indiquent des choix combinant les deux modèles ; ils sont plus du quart à être caractérisés par la modalité Egalité/Indécision, rassemblant les configurations les plus hybrides.
SIMON (Marie-Agnès), Enseigner à des élèves à la pensée troublée, Toulouse, ERES, 1999, p. 217
Ibid, p. 220
Les éducateurs spécialisés sont, dès leur formation, familiarisés avec les outils techniques ou théoriques des psychologues. Mais ils ne sont jamais, à notre connaissance, formé au travail en co-présence avec des psychologues ou des psychiatres.
Il est à noter que, même si l'enseignant est intégré à l'Education Nationale (contrat d'association), le directeur d'établissement peut lui interdire toute formation proposée par l'Education Nationale et l'obliger aux actions de formations prioritaires du plan de formation de l'établissement
Les réponses "autres" ont toutes été assimilées à "la connaissance de soi": il s'agissait de l'évocation de qualités particulières, la persévérance, la patience, etc
La formulation des propositions semblait moins restrictive pour les rencontres pédagogiques que pour les rencontres interprofessionnelles : on aurait opposé "les échanges avec l'équipe" aux "réunions entre enseignants", l'écart entre les deux pourcentages de réponses aurait vraisemblablement été légèrement supérieur.
A chaque séquence de choix est attribué un score dans chacun des modèles, cumulant les numéros d'ordre des choix des indicateurs de ce modèle. A une réponse qui indique le choix de trois indicateurs du modèle "centré sur l'établissement" est affecté le score de 6 (3+2+1) dans ce modèle (et 0 dans l'autre), indicateur de la nouvelle modalité "Dominante établissement forte".
Score de 4 à 6 au modèle Métier
Les séquences d'indicateurs non-ordonnés (cases cochées et non numérotées) sont classées dans cette catégorie si les trois indicateurs ne se réfèrent pas au même modèle.
Score de 4 au modèle Etablissement