La multiplicité des intervenants est une des caractéristiques des modes d'accompagnement des enfants et des adolescents dans les établissements médico-sociaux : une enquête 279 a déjà signalé, il y a un quart de siècle, combien ce mode d'organisation risquait de porter préjudice à la qualité des prises en charge. Les professionnels constatent de possibles dysfonctionnements, se préoccupent des difficultés d'articulations, mais ne modifient que rarement leurs dispositifs thérapeutiques ou pédagogiques. Les principaux aménagements consistent en un développement, parfois effréné, des pratiques de concertation : une littérature assez abondante permet de mieux connaître ces différentes formes de rencontre interprofessionnelle. Certaines, tout d'abord, parce qu'elles sont obligatoires : ainsi des réunions de synthèse, instituées par l'Annexe XXIV, afin de rassembler au moins une fois par an l'ensemble des intervenants auprès d'un élève. Pratiques souvent considérées comme emblématiques du secteur médico-social, l'analyse des "synthèses" renseigne toujours sur l'état d'une institution. C'est pourquoi une psychologue au CNEFASES y consacre exclusivement une étude : "l'articulation des approches ou des actions, affirme-t-elle, est ainsi au cœur de la synthèse, c'est sa seule raison d'être." 280 La plupart du temps, le fonctionnement de la synthèse est très ritualisé 281 : "l'animateur, responsable institutionnel, donne la parole successivement à chaque participant, selon un ordre institué qui ne suit pas celui du tour de table (mais...) tient compte des catégories professionnelles, par exemple l'enseignant d'abord, puis les éducateurs ; (...) Des rôles sont fixés : présentation de l'anamnèse par le responsable médical, ou par l'assistante sociale, intervention synthétique finale par un responsable institutionnel... " 282 Jean-François Gomez décrit comment il a ressenti ce protocole, quand, jeune éducateur, il participa pour la première fois à une réunion de synthèse : "j'avais l'impression de voir l'enfant se débattre, objet morcelé entre les mains d'adultes 283 ". Discours cannibalique où "chacun prend un morceau de l'enfant : l'un la motricité, l'autre le langage, le troisième les activités artistiques, le quatrième la classe (...), monologues juxtaposés qui ne servent qu'à masquer l'indigence des communications réciproques." 284 Emilia Marty explique qu’on "s'accommode facilement de l'échec des réunions de synthèse à rendre compte de la réalité, car c'est aussi un moyen pour chacun d'échapper à un contrôle des autres sur ce qu'on fait" 285 La plupart des auteurs ayant proposé des analyses de ces réunions formulent ainsi des diagnostics très sévères sur cette pratique très répandue. Seule, Michèle Dupuy arrive à défendre cette ritualisation qui, tout en facilitant les échanges en permettant une préparation et une anticipation, présente "l'avantage identitaire d'offrir à l'équipe une image constituante d'elle-même." 286
Malgré cette lourdeur protocolaire, les fonctionnements sont diversifiés. Paul Durning et Dominique Fablet 287 ont décrit dans le détail trois réunions de synthèses dans des internats d'enfants : ils citent entre autres le cas d'un Institut de Rééducation où les instituteurs n'étaient pas conviés aux synthèses, alors que tous les éducateurs avaient une obligation de présence. La question de l'implication des élèves dans ce dispositif est souvent évoquée : il n'est pas rare que les adolescents d'IMPro soient conviés à tout ou partie de "leur" synthèse. Des partenaires extérieurs à l'établissement peuvent y être invités : éducateur de P.J.J. ou d'A.E.M.O., psychiatre de l'intersecteur infanto-juvénile, maître de stage, etc. Certaines synthèses sont précédées de pré-synthèses, ou de "mini-synthèses" 288 qui permettent le plus souvent aux enseignants et aux éducateurs d'échanger leurs observations et parfois de rédiger un document préparatoire. Fréquemment, le professeur de sport est exclu de ces réunions, car c'est à lui qu'est confié le groupe ou la classe libéré par l'absence de son enseignant ou de son éducateur, qui eux assistent à la réunion : pour lever cette difficulté, certains établissements organisent à la sauvette des synthèses pendant les temps de repas ou, dans le cas de semi-internats, en fin de journée, quand les élèves ont quitté l'établissement.
Ainsi, les observations et les recherches sont nombreuses, au sujet des réunions de synthèse, contrairement au second type de réunions obligatoires, les réunions pédagogiques, rassemblant les enseignants, qui ne sont évoquées, à notre connaissance, que par Marie-Agnès Simon : ces "conseils des maîtres", ou "réunions professionnelles", sont, selon elle, principalement consacrées à l'évaluation des élèves ou des pratiques d'enseignement, signe de distinction de la fonction enseignante. 289 Notre expérience diffère de ce point de vue : les réunions pédagogiques peuvent aussi être des espaces d'élaboration de dispositifs d'enseignement innovants et performants, où chacun apprécie de partager avec un pair les mêmes habiletés professionnelles. Mais quel que soit l'intérêt de ces réunions, nous devons considérer qu'elles représentent une situation-limite de notre recherche, n'étant pas, par définition, des réunions interprofessionnelles : parfois même dans les IMPro, les éducateurs techniques en sont exclus, au prétexte de leurs exigences de service, qui diffèrent de celles des personnels rémunérés par l'Education Nationale.
BAUER (Monique) : De la multiplicité des intervenants dans la pratique médico-sociale, Les Cahiers du CTNERHI, n°4, octobre 1978
DUPUY (Michèle), La réunion de synthèse en institution pluridisciplinaire : sa fonction d'articulation, Les Cahiers de Beaumont, n°68, juin 1995, p. 19
J.R. Loubat s'est particulièrement intéressé aux conditions écologiques des réunions, c'est-à-dire essentiellement les règles implicites d'occupation des locaux de réunion ; LOUBAT (Jean-René), Les réunions comme mises en scène de l'institution, Résoudre les conflits dans les établissements sanitaires et sociaux, Paris, Dunod, 1999, pp. 126-154
DUPUY (Michèle), op. cit., p. 22
On pourra lire des propos comparables dans : DESMOULINS (J-P), Réflexions sur les réunions de synthèse en établissement spécialisé, Les Cahiers de Beaumont, n° 22,1983
GOMEZ (Jean-François), Un éducateur dans les murs, témoignage sur un métier impossible, Toulouse, Privat, 1978, p. 53
CAPUL (Maurice), LEMAY (Michel), De l'éducation spécialisée, Toulouse, ERES, 1996, p. 295
MARTY (Emilia M-O), Les enfants de l'oubli, Paris, Dunod, 1996, p. 163
DUPUY (Michèle), op. cit., p. 23
DURNING (Paul), FABLET (Dominique), La réunion de synthèse dans trois internats d'enfants , Handicaps et inadaptations, Les cahiers du CTNERHI, n° 20, octobre-décembre 1982
DUPUY (Michèle), op. cit., p. 23
SIMON (Marie-Agnès), Enseigner aux élèves à la pensée troublée, op. cit. pp. 96-97