4.3.2. Les réunions à l'initiative de l'établissement

Les établissements, selon leurs projets et leurs traditions, ont la possibilité d'étoffer leur dispositif de travail institutionnel de multiples formes de rencontres interprofessionnelles, aux dénominations innombrables. Nous proposons une présentation de trois formes particulières qui n'épuisent pas la diversité des pratiques ; même une seule réunion peut hésiter entre plusieurs modèles, comme le montre Jean-René Loubat en exposant le cas d'une "réunion clinique" : "Dès le début, la réunion oscille entre la réunion de synthèse et la réunion de projet." 290

Mais tout d'abord, laissons un futur directeur d'établissement présenter la réunion institutionnelle : "cette instance, qui offre l'unique possibilité à presque tous les adultes d'un établissement de se retrouver régulièrement, qui devrait donc aller dans le sens de toutes les attentes, (...) réussit ce tour de force improbable de faire l'unanimité contre elle, tant les participants la jugent inefficace, inutile, voire déprimante !" Citant Bion, il explique : " dans cette forme de regroupement, le langage n'apparaît pas développé comme une forme de pensée, mais utilisé comme une forme d'action." 291 En ethnologue, Emilia Marty analyse ces dysfonctionnements comme des pratiques de troc, qui font que "la symbolisation est directement le résultat de la hiérarchie sociale interne" : par exemple, enseignants et éducateurs, occupant une position intermédiaire entre "le personnel d'entretien et d'administration (qui) est hors d'activité de symbolisation" et " le sommet, psychiatre, éventuellement psychologue, éventuellement directeur (qui) a seul la légitimité à un discours de synthèse, à l'interprétation et à la décision", cherchent à "faire des coups" pour être valorisés dans cette structure de pouvoir. 292

Ces réunions institutionnelles mobilisent quoi qu’il en soit beaucoup d'énergie. Rassemblant l'ensemble des membres du personnel de l'établissement, elles nécessitent l'absence des élèves. Généralement assez rares (annuelles ou trimestrielles), elles peuvent être hebdomadaires dans des établissements qui revendiquent des pratiques de pédagogie ou de psychothérapie institutionnelles. Nous avons ainsi vécu, plusieurs années durant, l'expérience éprouvante de plus de deux heures de réunion institutionnelle par semaine, où dominait un pesant silence, toute prise de parole étant immédiatement interprétée comme un passage à l'acte.

Inspirées à l'origine par les pratiques de "groupes-Balint" et par les théories psychanalytiques, maintenant de plus en plus référées à des théories de la communication (analyse systémique, analyse transactionnelle, programmation neuro-linguistique...), les réunions d'analyse de la pratique ou de supervision, ou réunions cliniques, rassemblent généralement des praticiens, travaillant quotidiennement auprès des enfants ou des adolescents, autour d'un expert, personnel d'encadrement ou psychologue, extérieur ou non à l'établissement, afin de permettre aux acteurs eux-mêmes d'analyser dans le détail de leurs propres procédures techniques ou des affects qu'ils mobilisent tel ou tel aspect de leur pratique professionnelle considérée comme particulièrement problématique ou significative. Les participants peuvent être réunis par qualification, en regroupant tous les professionnels d'un même groupe d'élèves, ou sur la base du volontariat (parfois aussi du bénévolat) ou de façon aléatoire ou arbitraire.

Un responsable d'équipe en M.A.S. analyse ainsi cette forme de travail : "les réunions cliniques ont une fonction essentielle pour éviter que se fixent, voire s'enkystent, les difficultés inhérentes à (la) prise en charge, et elles contribuent à forger un "Moi-équipe éducative et soignante" dont nous savons qu'il est un des facteurs de possible travail auprès des résidents." 293 Il conclut : "la réunion clinique protège l'équipe éducative et soignante d'une trop grande intrusion des résidents dans son univers physique et surtout psychique." 294

D'autres réunions pluridisciplinaires sont connues dans chaque établissement sous de multiples appellations : coordinations, concertations, réunion d'intersecteur ou de projet… Certaines ont été érigées en pratiques régulières depuis de longues années et semblent aussi réglementaires que les synthèses ou les réunions pédagogiques. D'autres se mettent en place en fonction des difficultés plus ou moins passagères qui surviennent, pour quelques semaines seulement parfois : on entend ainsi parler de réunion-violence, de groupe de travail "projet d'établissement"... Ces réunions ont, à n'en pas douter, une fonction organisationnelle spécifique : réunissant peu de personnes, sans protocole interdisant toute absence, elles permettent de partager la quotidienneté du travail d'accompagnement et d'élaborer au jour le jour les outils communs. En ce sens, elles ont aussi comme fonction, selon Paul Fustier, "de faire augmenter les rémunérations de l'ordre du processus. Lorsque ces réunions sont perçues comme intéressantes, et lorsqu'elles deviennent des pivots de la vie institutionnelle, c'est généralement parce qu'elles se comportent comme des agents de rémunération, valorisant et donnant un sens à la pratique quotidienne..." 295

Notes
290.

LOUBAT (Jean-René), Elaborer son projet d'établissement social et médico-social, op. cit. p. 177

291.

JAULIN (Michel), Une approche de la communication et de ses difficultés en établissement spécialisé , Les Cahiers de Beaumont, n°34, mai 1986, p. 15

292.

MARTY (Emilia M-O), op. cit, p. 192

293.

CHAVAROCHE (Philippe), Equipes éducatives et soignantes en maison d'accueil spécialisée, Vigneux, Matrice, 1996, p. 41

294.

Ibid., p. 46

295.

FUSTIER (Paul), L'enfance inadaptée ; repères pour des pratiques, Lyon, PUL, 1988 (2ème édit.), p. 76