Les ressources collectives : éléments de synthèse

L'opposition entre les deux logiques de centration sur le métier ou sur l'établissement, souvent décrites dans les analyses du champ médico-éducatif, permet en effet de rendre compte de la plupart des attitudes des enseignants que nous avons relevées.

Mais d'autres cohérences aussi se font jour : la mobilisation privilégiée des projets de proximité, de petit périmètre, projet individualisé ou projet de classe, plutôt que des projets aux prérogatives plus élargies, projet institutionnel ou projet d'école, indique le souci des enseignants de centrer leurs pratiques au plus près de l'élève.

Dans le même esprit, le modèle du collectif consensuellement privilégié est celui de l'équipe, qui permet l'articulation des compétences de chaque adulte pour l'accompagnement individualisé de chaque enfant. Dans plusieurs dimensions, ce sentiment d'appartenir à une équipe différenciée accompagne des références qui éloignent les enseignants du monde de la Normalisation scolaire. Ainsi l'identification comme besoins prioritaires des élèves du besoin d'espaces de parole ou d'une relation de confiance avec leur enseignant, représentatif du monde Praxis et relation, coïncide souvent avec la reconnaissance des qualités d'équipier des collègues : compétence, diversité, complémentarité. De même, autour de l'image du collectif institutionnel comme un groupe, et des besoins de convivialité des élèves apparaît une cohérence des représentations de l'adulte et de l'enfant, plus proches du monde de la Rupture communautaire, comme partenaires d'une expérience à partager.

Malgré ce contexte, il serait abusif de prétendre que les enseignants coopèrent fréquemment avec d'autres professionnels. Les collaborations entre instituteurs, professeurs, éducateurs techniques, sportifs ou scolaires, sont proportionnellement nettement plus nombreuses que les collaborations interprofessionnelles, surtout lorsque l'on écarte les formes de travail moins centrées sur les apprentissages : sorties, fêtes... Ces collaborations permettent d'entrevoir comment peut être dépassée cette opposition, souvent considérée comme stérile, entre logiques de métier et d'établissement. Alors que dans une logique du métier, la qualification des enseignants influerait sur leur capacité à travailler avec des psychologues, l'aptitude à la collaboration avec les éducateurs serait plutôt liée aux pratiques individuelles, plus dépendantes, avons-nous constaté, d'une logique locale de l'établissement. Mais ces deux types de collaboration se nourrissent mutuellement : plus un enseignant collabore avec des éducateurs, plus il travaille aussi avec des psychologues, comme si l'ouverture à certains des partenaires permettait de développer une compétence qui peut se déployer avec d'autres. Souvent, la ressemblance est aussi ce que les enseignants, principalement les instituteurs et les professeurs d'école, semblent rechercher dans les diverses formes de réunion : ainsi, ils apprécient les réunions pédagogiques et d'analyse de la pratique, qu'ils investissent comme espaces de respiration, où ils peuvent échapper, semble-t-il, à la constante confrontation à la différence, angoissante figure du handicap ou étouffant morcellement des professionnalités.

Cependant, la plupart des réunions sont surtout appréciées pour leur fonction d'articulation des particularités : évaluation commune des pratiques individuelles, invention de dispositifs collectifs... Les réunions donnent forme à l'équipe.

Mais ce que les enseignants revendiquent le plus, et de très loin, comme forme efficace de travail interprofessionnel, ce sont les rencontres spontanées avec les collègues. Supposées combiner les fonctions d'information, d'articulation et de respiration des autres réunions, ces rencontres informelles nécessitent des enseignants qui s'y engagent des savoir-faire précis, des stratégies avérées et des repères communs. C'est au dévoilement de ces éléments d'une compétence partagée que convie la suite de notre enquête.