1.1.4. Des accords à l'école

Le Groupe d'Etudes Sociologiques de l’I.N.R.P. s’applique, depuis une quinzaine d'années, à comprendre, en fonction des définitions à la disposition des acteurs, comment s'opèrent, en continuité du local de la classe ou de l'établissement au général du fait social, les mutations du système scolaire. En référence explicite à la théorie des Economies de la Grandeur, il décrit et analyse l'univers de l'Ecole au carrefour de plusieurs mondes et présente, dans un esprit de renouvellement méthodologique, comment il est possible d' "étudier (les établissements) comme lieu de débat, d'observer les arguments qui y étaient développés par les acteurs, les enrôlements des gens et des choses qu'ils réalisaient, les mises en forme qui en résultaient…" ³²¹ Particulièrement, dans Ecole et Justice ³²² , après avoir mis en évidence les différents registres de justification à l'œuvre principalement dans les collèges depuis une trentaine d'années, et les procédures de dénonciation qui les mettent en œuvre, Jean-Louis Derouet tente de repérer, dans "le monde tel qu'il va", au plus près des situations vécues dans les établissements, les formes (rarissimes) de compromis, ou (plus courantes) de relativisations et d'arrangements. Prétendre permettre à l'enseignant d'enseigner et aux élèves d'apprendre, c'est au préalable avoir été capable de convenir de situations (établissement, classe, heure de cours) "qui se tiennent, c'est (à dire) agencer des personnes et des objets, éventuellement assez hétéroclites, mais en les référant à une définition d'un bien commun qui justifie qu'ils aillent ensemble, et qui définit des règles qui vont gouverner leurs rapports : définir ce qui est licite ou ce qui ne l'est pas, donner des références pour évaluer l'importance des personnes et la pertinence des objets, prévoir des sanctions pour le manquement aux règles." ³²³ Dans une même perspective, Christiane Valentin, près avoir isolé une dizaine de mondes de référence mobilisés par des enseignants de collège, dresse la liste de leurs désaccords afin d'argumenter en faveur d'une formation à l'accord, avant d'en proposer les éléments opérationnels d'un dispositif précis. ³²⁴

L'ensemble de ces recherches conduit à la fois à valider la portée heuristique du modèle théorique de la justification et des économies de grandeur dans le champ scolaire, et à considérer l'accord, dans sa forme repérable de compromis, comme quasiment exceptionnel : "nos travaux empiriques constatent bien peu d'accords véritables. (…) En revanche, ils attirent l'attention sur les nombreux cas où des établissements fonctionnent de façon satisfaisante, et produisent un effet positif sur la scolarité de leurs élèves, sans accord entre les personnes. Ce qui (nous) a amené à situer l'accord au sein d'un ensemble plus large qui est la coordination de l'action et à montrer que l'accord n'est pas la forme la plus fréquente de coordination de l'action." ³²⁵

Pour notre part, nous pensons que les établissements médico-éducatifs sont, en ce point, comparables au reste du champ scolaire, en ce que plusieurs mondes de référence peuvent également y entrer en conflit. Mais leur situation particulière au carrefour des pratiques scolaires, sociales, sanitaires rend plus nécessaire qu'ailleurs le recours à des formes d'accord : le confinement social, la marginalisation institutionnelle de ces établissements et de leurs acteurs, en premier lieu des enseignants, la difficulté particulière de leur tâche, sanctionnée par la répétition des échecs individuels et les insuccès de la politique nationale d'intégration, interdisent le plus souvent aux différents professionnels la jouissance de l'agapè ou l'expérience de la justesse. La multiplicité des dispositifs de réunions proposées, l'intérêt que les enseignants portent aux diverses formes de rencontre témoignent au contraire d'une orientation préalable des établissements vers l'accord. Ce sont ces éventuels compromis entre les enseignants et d'autres professionnels, leurs nécessaires arrangements, leurs probables relativisations ou clarifications que nous tentons de repérer.