2.1.3. Une situation-problème

Une nouvelle fois rappelées les conditions d’enregistrement, d’anonymat et de confidentialité 384 , nous nous adressons ainsi à l’interviewé : « Je vous soumets un document sur lequel j’ai rassemblé plusieurs situations que vous avez éventuellement rencontrées. » La lecture par l’enseignant interrogé de sept courts scénarii et d’une première consigne inaugure la situation d’entretien.

3-04 Document présenté au commencement de l’entretien
3-04 Document présenté au commencement de l’entretien

L’entretien se présente donc initialement sous la forme d’une invitation à la résolution d’une situation-problème. Notre intention est en effet de sécuriser nos interlocuteurs en leur permettant de se référer à un modèle de pratique pédagogique. Nous nous autorisons également, par ce dispositif, à nous inspirer de techniques utilisées dans d’autres contextes : dialogues pédagogiques que nous menons avec nos propres élèves, ou analyse des situations d’enseignement que nous pratiquons depuis quelques années en collège.

Mais ce dispositif est aussi justifié par l’objet même de notre recherche : rappelons qu’il n’est de compétence professionnelle qu’en situation. Il ne peut donc y avoir d’éventuelle compétence professionnelle à l’accord interprofessionnel qu’en situation-limite de la professionnalité. L’objectif de l’enquête, collecter les savoir-faire collectifs ou les habiletés interprofessionnelles mises en œuvre par les enseignants, nécessite donc l’évocation de situations critiques, d’épreuves dans lesquels les repères professionnels méritent d’être interrogés. La consigne de départ, demandant à l’interviewé d’identifier 385 dans la liste une situation dont il se sent proche, détermine un espace de référence commun, entre l’archétype proposé et l’expérience de l’interviewé.

Nous avons été particulièrement attentif à veiller à ne pas induire, par les situations-types que nous proposions, une représentation trop partielle, voire partiale, des difficultés de la pratique d’enseignement en EME. Bien entendu, notre propre expérience nous a largement inspiré pour déterminer une première typologie sommaire soumise à nos propres collègues, au cours de réunions spécifiques. Les enseignants de deux établissements proches ont été également sollicités pour des entretiens-tests non-enregistrés, suivis d’une analyse critique de l’ensemble du dispositif. C’est ainsi qu’une liste de sept situations a été arrêtée : l’élève démotivé, la méthode inadaptée, l’épuisement professionnel, l’élève rebelle, les collègues critiques, le trop bon élève et l’élève oublié. Toutes les difficultés que pouvaient évoquer nos collègues correspondaient au moins à l’une de ses catégories.

Malgré toutes ces précautions, certains des enseignants interviewés ont émis des critiques sur ces propositions :

Mais la plupart des personnes interrogées ont tenu à exprimer, d’une façon ou d’une autre, leur adhésion spontanée à ces propositions :

Un guide sommaire d’entretien prévoit quelques relances, au cas où l’interviewé n’aborde pas de lui-même les étapes prévisibles de sa démarche de recherche de solution. Dans les cas où le moindre indice laisse présager que l’enseignant n’a pas investi un dispositif ou envisagé une solution, nous nous interdisons bien sûr toute intervention susceptible d’être perçue comme normative, et d’engendrer des réponses de convenance. Nous prévoyons les éventuelles relances suivantes :

Tableau n°3-05 Guide d’entretien : relances initiales
1. Pourriez-vous décrire la situation réelle à laquelle cet exemple vous fait penser ?
2. Avez-vous imaginé des solutions à cette difficulté dans le cadre de la classe (de l’atelier) ?
3. D’autres adultes de l’établissement sont-ils confrontés à cette difficulté ?
4. Avez-vous eu l’occasion de les rencontrer ?

A la suite des premiers entretiens, nous avons complété notre guide initialement prévu d’une nouvelle relance, nous permettant, vers la fin de la rencontre, de donner à l’interviewé l’occasion de ressaisir les principaux éléments de son discours en une formulation brève et éventuellement simplificatrice. Nous énonçons ainsi cette reprise de modélisation :

On va rêver un petit peu : si jamais à la rentrée prochaine la situation se reproduit, et vous vous êtes doué(e) d'un pouvoir spécial qui peut changer une chose dans le fonctionnement général, de la classe, de l'école, de l'institution etc., quel est le bouton sur lequel il faudrait appuyer pour que vous ne soyez pas confronté(e) de la même manière aux mêmes difficultés ?

Ces premiers éléments nous permettent de dresser sommairement le cadre des dix-neuf entretiens que nous avons menés 387 . Il s’agit de construire, pour nous comme pour nos informateurs, « une réalité qui se tienne ». Nous étant préalablement assuré de la validité du « contrat de communication » qui nous lie aux personnes interrogées autour de la reconnaissance d’un même savoir à échanger, nous leur proposons de nous exposer leur façon de s’y prendre pour résoudre une situation-problème caractéristique de leur exercice professionnel. Mais il ne s’agit là que du contexte commun à chacun des entretiens : selon les caractéristiques de l’enseignant et de ses difficultés, selon également l’évolution de notre regard sur notre recherche, chaque rencontre est l’occasion d’ajustements du cadre, d’applications particulières de ces principes généraux, à examiner plus précisément.

Notes
384.

Les personnes interviewées sont informées de leur droit de regard et d’éventuelle censure sur la retranscription de leurs discours ; à cet effet, un exemplaire de son entretien retranscrit a été envoyé à chaque interviewé. Aucun n’a demandé de coupe de ses paroles.

385.

Afin d’éviter tout biais dû à l’ordre de présentation des situations, la feuille fournie à l’interviewé était tirée au hasard parmi sept listes permutant les numéros d’ordre.

386.

Chaque citation est caractérisée par deux nombres : le numéro d’ordre de l’entretien dans le corpus référencé en annexe, et le numéro des propositions considérées dans l’entretien. Ainsi, (1/8) renvoie à la huitième proposition du premier entretien, celui mené avec Eglantine.

387.

Nous avons en fait procédé à un nombre supérieur d’entretiens. A partir des réponses aux questionnaires, nous avons déterminé un échantillon illustratif des principales typologies construites constitué d’une trentaine d’enseignants relativement accessibles et ayant exprimé leur souhait d’être associés à la suite de la recherche. Sur cet échantillon, quelques enseignants n’ont pu être contactés ; trois entretiens ont été conduits mais la déficience du matériel d’enregistrement n’en a pas permis l’exploitation ; un entretien enfin a révélé que l’enseignant concerné était depuis plusieurs années déchargé de classe et ne correspondait donc plus à nos critères de représentativité.