3.1. Une approche compréhensive et qualitative

Le souci de cohérence avec les étapes antérieures de l’étude (définitions des objets, passation des entretiens) guide notre méthode d’analyse de notre corpus : ainsi l’approche privilégiée est essentiellement compréhensive et qualitative.

3.1.1. Comprendre

L’approche compréhensive réfute que l’on puisse saisir un objet social sans tenir compte des relations que le chercheur entretient avec lui. Ainsi, comprendre, c’est d’abord partager une expérience commune avec le terrain. Suscitant la rencontre de nos interlocuteurs, définissant avec eux un contrat de communication, nous participons ensemble, avons-nous vu, à la co-construction d’un discours, dont les aspects linguistiques les plus explicites constituent notre corpus.

« L’approche compréhensive, prévient Alex Mucchielli, comporte toujours un ou plusieurs moments de saisie intuitive, à partir d’un effort d’empathie, des significations dont tous les faits humains et sociaux sont porteurs ». 405 Ainsi, dans un premier temps, comprendre, c’est, lors des entretiens, savoir être attentif aux interviewés, à leurs affects comme à leurs propos, dans la recherche d’une intuition immédiate de ce qui se passe. Gautier trahit en transpirant excessivement l’anxiété que provoque en lui la situation d’entretien : cherchant à éviter une tension lors de la suite de l’interview, nous le laissons évoquer longuement des situations déjà décrites, avant qu’il ne nous livre des ressentis très personnels (6/417-419). Au contraire, Mylène (5) nous semble très solide, malgré l’implication qu’elle manifeste dès le début de son propos : nous la pressons de relances en écho ou reformulations, attentif au moindre signe qui indiquerait un affect mal maîtrisé. Confiants dans notre compétence commune à maintenir un espace de parole riche, nous réalisons un des entretiens les plus longs et les plus riches. Ces deux exemples montrent que le travail d’interprétation débute, au moins, dès le moment du recueil. Chaque entretien est la résultante de multiples interprétations : chaque partenaire tente de comprendre où l’autre veut le mener. En particulier, le chercheur s’efforce de repérer les moments où l’interviewé s’écarte du sujet, c’est-à-dire désinvestit les objets que le chercheur a préalablement définis comme constitutifs de son sujet.

Car comprendre, c’est aussi assimiler, dans un même geste de préhension intellectuelle, plusieurs éléments a priori disparates. L’analyse compréhensive procède, et ce dès le moment du recueil des données, par synthèses successives qui assimilent des fragments de discours à des catégories conceptuelles, des énoncés à des conduites sociales, des propos à d’autres propos. Comprendre, c’est opérer des rapprochements entre divers objets. Au cœur de toute recherche compréhensive, se pose la question de ce qui fonde la qualité de ces rapprochements. Matthew B. Miles met en garde contre des méthodes d’analyse trop peu explicites : « la difficulté la plus sérieuse et la plus centrale de l’utilisation de données qualitatives vient du fait que les méthodes d’analyse ne sont pas clairement formulées. Pour les données quantitatives, il existe des conventions précises que le chercheur peut utiliser. Mais l’analyste confronté à une banque de données qualitatives dispose de très peu de garde-fous pour éviter les interprétations hasardeuses (...) Comment pouvons-nous être sûrs qu’une découverte « heureuse », « indéniable », « solide », n’est pas en fait erronée ? » 406

Alex Mucchielli et Pierre Paillé considèrent que la cohérence du chercheur garantit la validité d’une recherche compréhensive : « traversant tout ce travail, se trouve le sens, qui se constitue au sein de la rencontre entre un événement du monde phénoménal et un projet de compréhension ». 407 Considérant qu’« un chercheur se doit d’indiquer clairement ses préférences » 408 , Michael Huberman et Matthew Miles demandent cependant de « démonter et remonter les procédures proprement dites et l’heuristique sous-jacente qu’un chercheur qualitatif utilise effectivement. Ce que nous entendons par analyse qualitative « cohérente » ou « plausible » ou « crédible » ou « concluante » peut devenir alors beaucoup plus clair ». 409 En ce qui concerne notre recherche, nous proposons d’expliciter quelques unes des techniques élaborées ou mobilisées dans les différentes opérations de synthèse et de rapprochement constitutives de notre méthode d’analyse de contenu.

Notes
405.

PAILLE (Pierre), MUCCHIELLI (Alex), op. cit., p. 13

406.

MILES (Matthew B.), in HUBERMAN (A. Michael) et MILES (Matthew B.), Analyse des données qualitatives. Recueil de nouvelles méthodes, Bruxelles, De Boeck Université, 1991, p. 23

407.

PAILLE (Pierre), MUCCHIELLI (Alex), op. cit., p. 24

408.

HUBERMAN (A. Michael) et MILES (Matthew B.), op. cit., p. 31

409.

Ibid., p. 33